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des passagers, l’odieux tête-à-tête avec des figures étrangères !

J’inspecte la maison flottante dont je vais être l’hôte pendant toute une semaine. On dirait un chalet à deux étages, avec un balcon circulaire, protégé du soleil par une large couverture en saillie et par des tentes de coutil. Eparpillés sur le balcon, des fauteuils plians creusent leurs hamacs de toiles propices à la sieste et aux longues contemplations. C’est vraiment la maison de rêve, la maison roulante, devant qui


Les grands pays muets longuement s’étendront.


Voir, contempler, sans hâte, sans but, pendant des jours et des nuits, — pour la seule volupté de la vision : je m’y prépare avec un frémissement de joie... Mais, déjà, voici que j’ai peur d’être écrasé par le khamsin qui recommence !

Le bateau s’ébranle. Il accélère peu à peu sa vitesse. Malgré le courant d’air de la marche, la sensation de chaleur devient plus véhémente à mesure que le soleil monte. Les parois des cabines sont tièdes sous la main et, quand on y entre, une haleine âpre de germoir vous coupe la respiration. Même dans la salle à manger, plus aérée, il faut se réfugier, pour trouver un peu d’ombre, du côté droit, le côté de la rive occidentale. Toutes fenêtres ouvertes, je regarde, d’un œil distrait, se dérouler la banlieue industrielle du Caire : cheminées d’usines, ponts en fer, grues métalliques, voies étroites où circulent des wagonnets. Dans ce cadre trop moderne et trop encombré, les pyramides de Gizeh se rapetissent, et, derrière les tas de charbon alignés le long des berges, elles apparaissent enfin au regard qui les cherche, comme de simples monticules de sables, détachés de la grande chaîne ly bique.

...Mais une vaste nappe d’eau limoneuse se déploie derrière les stores des fenêtres. Les rives se reculent : la largeur du fleuve est telle que les embarcations éparpillées n’y sont plus que des taches imperceptibles. Alors, seulement, c’est le Nil, dans toute son immensité, — une vision qui déroute l’œil habitué aux proportions classiques des fleuves méditerranéens. Cette masse d’eau énorme qui ressemble à une mer intérieure, qui se perd dans un ciel sans limites, vous stupéfie d’abord. On s’imagine