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qu’il oppose à M. Maupeou ; que celui de Provence a fait saccager par un arrêt quarante-deux villages, et fait massacrer dix-huit mille Vaudois ; que celui de Toulouse a fait exécuter, en un jour, deux cents protestans, que celui de Paris a fait pendre la maréchale d’Ancre parce que son médecin lui avait ordonné du bouillon de coq, le prêtre Petit parce qu’il avait fait une chanson sur une aventure, autrefois arrivée eu Syrie ; le rêveur Morin parce qu’il se disait prophète ; qu’il a défendu de rien enseigner contre la philosophie ridicule des écoles, proscrit l’Encyclopédie, empêché l’édit de l’exportation qui enrichissait les provinces, défendu l’inoculation ; je n’ai pas oublié que l’abbé de Prades a été décrété à cause de ses liaisons avec les éditeurs de l’Encyclopédie, que M. Helvétius a été forcé par eux à une rétractation humiliante, qu’ils ont décrété Rousseau, condamné aux galères ceux qui vendaient les livres des philosophes, que ces mêmes philosophes ont été traités par eux comme des pestes publiques ; que Pasquier dans ces derniers temps a pleuré de rage de ce que, dans le préambule de l’édit, M. de Maupeou les accusait d’être philosophes, apparemment pour se moquer d’eux. Je remarque que ces mêmes gens qui n’ont pas sévi contre le duc d’Olonne prévenu d’assassinat, ont poursuivi avec acharnement le duc d’Aiguillon et que cette seule différence prouve que les intérêts du peuple ne sont rien, et que leur intérêt est tout pour eux. Cela posé, je crois M. de Voltaire excusable d’avoir juré une haine éternelle au Parlement et de regarder sa destruction comme un bien et son rétablissement comme le plus grand des maux.

… Ce que Voltaire ne pouvait prévoir, c’est le zèle des gens de lettres qui criaient contre il y a un an. Je ne sais comment expliquer ce changement, à moins qu’on ne dise que c’est le zèle du martyre qui les a saisis, et que, bien convaincus de l’envie que le Parlement avait de les persécuter, ils aspirent après son rétablissement comme les premiers chrétiens après la persécution. Vous sentez que M. de Voltaire, qui n’a jamais eu un pareil héroïsme, et qui, à l’exemple du grand saint Cyprien, se contentait d’exhorter son peuple à braver la persécution du fond des déserts, n’a aucune envie de revoir les ministres essentiaux (sic) de la justice établis dans le droit d’assassiner légalement les philosophes, leurs disciples et leurs colporteurs ; ni d’être poursuivi lui-même criminellement, comme coupable de blasphème envers Dieu et le maître Denis Pasquier. Voilà, madame, ce que je crois qu’on pourrait dire pour la défense de M. de Voltaire qui n’a point varié depuis la Henriade, qui dans cet ouvrage même a fait dire par Bussi au Parlement :


Mercenaires appuis d’un dédale de lois,
Plébéiens qui pensez être tuteurs des lois.
Lâches qui dans le trouble et parmi les cabales
Mettez l’honneur honteux de vos vertus vénales ;
Timides dans la guerre et tyrans dans la paix,
Obéissez au peuple et suivez ses décrets.
Il fut des citoyens avant qu’il lût des maîtres.


M. l’abbé Arnaud aurait pu sans trop de vanité rappeler ces vers de Tancrède :