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le Roi parmi ses courtisans. Louis XV fut peut-être plus élégant, car il aimait, comme Marie Leszczynska, les belles soieries de Lyon. La tenue de Louis XVI eût convenu au plus obscur de ses sujets : un habit gris le matin ; pour l’après-midi un uniforme de nuance foncée, en drap uni, sans ornement, broderie ni dentelle.

Ainsi qu’au Moyen âge, au XVIIe siècle encore, on entrait dans le palais du Roi comme dans un moulin. Contrairement à ce qui se verrait de nos jours, tout y était banal, hors la chapelle. Les étrangers ne cessent d’en exprimer leur surprise. J’allai au Louvre, écrit Locatelli en 1665, « je m’y promenai en toute liberté et, traversant les divers corps de garde, je parvins enfin à cette porte qui est ouverte dès qu’on y touche et le plus souvent par le Roi lui-même. Il suffit d’y gratter et l’on vous introduit aussitôt. Le Roi veut que tous ses sujets entrent librement. » Dans le jardin des Tuileries, le « jardin du Roi, » avant que Louis XIV ne transférât sa résidence à Versailles, le public coudoie le ménage royal, ainsi qu’il le faisait sous saint Louis et sous Philippe le Bel dans le Jardin de Paris. Locatelli y assiste à de petites scènes intimes entre Louis XIV, Marie-Thérèse et le Dauphin, scènes qu’il rapporte avec beaucoup de grâce :

Un soldat, en passant devant le Dauphin, inclina sa hallebarde, mais l’enfant âgé de cinq ans, irrité de ce que le soldat ne s’était pas découvert, dégaina une petite épée qu’il portait, en criant :

— Holà ! bâtonnez-moi cet homme assez hardi pour passer devant moi sans ôter son chapeau !

Mais la Reine fit tendrement remarquer à son fils :

— Suivant les règles militaires, ce soldat ne devait pas ôter son chapeau, mais seulement incliner sa hallebarde, ce qu’il a fait.

Mécontent de ces paroles, dit Locatelli, le Dauphin repousse la Reine de la main et s’enfuit vers le Roi assis derrière la grille du jardin d’où il suivait des yeux la fin d’une revue.

Louis XIV, à l’arrivée de son fils, le prit entre ses bras et le couvrit de baisers, quand la Reine les rejoignit.

« Elle tenait dans ses mains, dit notre Italien, une tige de laitue confite, — sans doute de l’angélique. Son fils s’arrêta court à cette vue, et, saisissant de ses mains les deux bras de sa mère,