Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 5.djvu/922

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et qui se traduisait par des brusqueries. Ceci se passe encore au Louvre. Le Roi remarque dans la foule une jeune personne fort décolletée. « La dernière fois qu’il but, lisons-nous dans un livre d’édification de 1658, — où ce trait de vertu est cité avec éloge, — le Roi retint une gorgée de vin en la bouche, qu’il lança dans le sein découvert de cette demoiselle. »

Fréquemment, entre le Roi et les assistans, des gens du peuple, la conversation s’engage gaillarde et familière. Des échos en sont conservés par les lettres de Mme de Sévigné et les Mémoires de Saint-Simon. « Il y eut l’autre jour une vieille décrépite qui se présente au dîner du Roi. Elle faisait frayeur, écrit Mme de Sévigné à sa fille. Monsieur (le Duc d’Orléans) la repoussa en lui demandant ce qu’elle voulait. « Hélas ! Monsieur, lui dit-elle, c’est que je voudrais prier le Roi de me faire parler à M. Louvois. » Le Roi dit : « --Tenez, voilà M. de Reims (frère de Louvois), qui y a plus de pouvoir que moi. »

Le public était plus particulièrement admis au « grand couvert, » qui avait lieu régulièrement tous les dimanches et, — ce qui est à noter, — les jours de fête dans la famille royale. Celle-ci s’y trouvait réunie tout entière, y compris les princes du sang.

Louis XIV, qui s’acquitta avec tant d’énergie et de conscience de son métier de Roi, s’astreignit à dîner ainsi en public jusqu’aux derniers jours de sa vie, jusqu’au 24 août 1715, — il devait mourir le l or septembre. Son état de fatigue ne lui permettait plus de quitter sa robe de chambre. « J’observai, note Saint-Simon, qu’il ne put avaler que du liquide et qu’il avait peine à être observé. »

Sous Louis XV, les Parisiens, les provinciaux, viendront assister au repas du Roi, pour admirer sa prestance, son élégance, mais plus encore son adresse à faire sauter le haut de la coque d’un œuf, d’un seul coup du revers de sa fourchette.

— Attention ! Le Roi va manger son œuf !

Les dames assises auprès du souverain s’écartaient de lui pour que la foule le pût mieux voir. Louis XV savait l’amusement que ses sujets prenaient à ce détail, aussi s’astreignait-il à manger le plus souvent possible des œufs à son grand couvert. « Les badauds, assure Mme de Genlis, qui venaient le dimanche à Versailles, retournaient chez eux, moins enchantés de la belle figure du Roi que de l’adresse avec laquelle il ouvrait ses œufs. »