Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 5.djvu/927

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les poissardes viennent réclamer à Marie-Antoinette, « grossièrement, » dit M. de Nolhac, le Dauphin qu’elle leur doit.

L’accouchement doit se faire en public, devant tout le monde, sous les yeux du peuple à qui l’enfant appartient.

« C’est la grandeur de vous et de votre enfant. » disait Henri IV à Marie de Médicis.

La sage-femme a reconnu les douleurs. Henri IV aussitôt prévient la reine des usages de la Cour de France. Marie lui répond :

— J’ai toujours été résolue de faire tout ce qui vous plaira.

— Je sais bien, m’amie, que vous voulez tout ce que je veux ; mais je connais votre naturel, qui est timide et honteux, et je crains que si vous ne prenez une grande résolution, en les voyant cela ne vous empêche d’accoucher.

« Le Roi, écrit la sage-femme, alla ouvrir la porte de la chambre et fit entrer toutes les personnes qu’il trouva dans l’antichambre et grand cabinet. Je crois qu’il y avait deux cents personnes, de sorte que l’on ne pouvait se remuer dans la chambre pour porter la Reine dans son lit. J’étais infiniment fâchée de la voir ainsi. »

Mme Boursier, — c’est la sage-femme, — protesta contre la présence de tant de gens :

« Le Roi m’entendit, qui me vint frapper sur l’épaule et me dit : « Tais-toi, tais-toi, sage-femme ; ne te fâche point ; cet enfant est à tout le monde, il faut que chacun s’en réjouisse. »

L’enfant vient au jour ; c’est un Dauphin.

« Par tout le bourg (Fontainebleau), écrit Mme Boursier, toute la nuit, ce ne furent que feux de joie, tambours et trompettes ; tonneaux de vin défoncés pour boire à la santé, du Roi, de la Reine et de M. le Dauphin ; ce ne furent que personnes qui prirent la poste pour aller en divers pays en porter la nouvelle et par toutes les provinces et bonnes villes de France. »

Le vieux lieutenant général de Fontenay-le-Comte, âgé de quatre-vingts ans, s’approche du berceau. « Il donne mille complimens et des vœux au ciel, puis, s’en retournant au coin de la chambre, s’écrie :

« — Que Dieu m’appelle quand il lui plaira, j’ai vu le salut du monde ! »