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Savoyards montent sur les meubles. Une masse compacte emplit la pièce : la Reine étouffe.

— De l’air ! crie l’accoucheur.

Le Roi se jette sur les fenêtres calfeutrées et les ouvre avec la force d’un furieux. Les huissiers, les valets de chambre sont obligés de repousser les badauds qui se bousculent. L’eau chaude, que les praticiens ont demandée, n’arrive pas et le chirurgien doit piquer à sec le pied de la Reine. Le sang jaillit. Deux Savoyards, debout sur une commode, se sont pris de querelle et se disent des injures. C’est un vacarme. Enfin la Reine ouvre les yeux : elle est sauvée.

Taine a décrit, d’après les lettres et mémoires des contemporains, la joie du pays quand naquit le fils aîné de Marie-Antoinette. « Ce fut, dit le grand historien, une fête de famille. » Les Parisiens accouraient à Versailles en costumes de fête. Dans les théâtres, les acteurs ne pouvaient plus réciter leurs rôles, interrompus qu’ils étaient à chaque phrase par les cris de « Vive le Roi ! vive la Reine ! vive monseigneur le Dauphin ! »

Et, pour bien comprendre le caractère de ces faits, il faut encore les comparer aux pompes impériales qui fêteront la naissance du Roi de Rome quelque cinquante ans plus tard :

« Rien des cérémonies de jadis, écrit M. Frédéric Masson, rien de cette populaire action de grâces que venait rendre à Notre-Dame, agenouillée aux dalles, comme la plus humble bourgeoise de la Cité, la Reine d’autrefois, et qu’elle portait ensuite à Sainte-Geneviève devant les reliques de la patronne de Paris ; rien de cette promenade glorieuse à travers les rues étroites de la montagne, sentiers fangeux qui, pour un jour, se faisaient royaux ; rien du festin paternel à la maison de Ville ; — tout se passe entre gens titrés, à l’intérieur du Palais, et, pour le peuple qui ne demande qu’à acclamer le fils de son Empereur, c’est assez qu’on lui ait, par des coups de canon, donné part de son heureuse naissance[1]. »

Le Roi, ou son fils, tombe-t-il malade, les portes de la chambre s’ouvrent : ils doivent être malades en public. Des délégations populaires non seulement viennent prendre de leurs nouvelles, mais sont admises à leur chevet. Le 14 avril 1711,

  1. Frédéric Masson, Marie-Louise, p. 289-90.