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le Grand Dauphin s’est alité à Meudon. Son état fait naître des inquiétudes. « Les harengères de Paris, écrit Saint-Simon, arrivèrent en plusieurs carrosses de louage. Monseigneur les voulut voir : elles se jetèrent au pied de son lit, qu’elles baisèrent plusieurs fois et, ravies d’apprendre de si bonnes nouvelles (qu’il allait mieux), elles s’écrièrent dans leur joie qu’elles allaient réjouir tout Paris et faire chanter le Te Deum. Monseigneur leur dit qu’il n’était pas encore temps, et, après les avoir remerciées, il ordonna qu’on leur fît voir sa maison, qu’on les traitât à dîner et qu’on les renvoyât avec de l’argent. »

Le Dauphin, fils de Louis XV, atteint du mal dont il mourra, doit accueillir la foule des courtisans. Auprès de son lit se pressent gentilshommes de la Chambre, officiers et menins. Le matin, après la messe, on fait chaque jour entrer « tout le monde. »

Comme le Roi est venu au monde, ainsi il doit mourir : sous les yeux des siens, c’est-à-dire de tous les Français. Louis XIII est à Saint-Germain, dans le château neuf, aujourd’hui presque entièrement détruit. Anne d’Autriche était demeurée au vieux château, celui qui se dresse encore de nos jours sur la jolie terrasse dominant la Seine. Dans les momens où le Roi allait bien, il pouvait jouir de quelque repos, demeurer un peu tranquille, dans une retraite relative ; mais, dès l’instant où son état empirait, l’étiquette reprenait ses droits. Cette étiquette, nous la connaissons. Le flot des courtisans qui demeurent avec la Reine dans le vieux château, augmenté d’un flot de Parisiens accourus de la ville, envahissent la chambre où le Roi agonise et se pressent en une masse compacte et remuante. « C’était un piétinement, un entassement, un bruit, une chaleur, affreusement pénibles pour le Roi, qui demandait en grâce qu’on s’écartât de son lit, pour lui laisser un peu d’air. »

« A la mort de Louis XV, écrit Norvins en son Mémorial, l’artisan, le portefaix, ceux à qui il ne fait réellement rien qu’un Roi soit mort, s’étudiaient à attrister leurs vêtemens. Il semblait que chacun eût perdu son père. »

Avec son profond sentiment social, Napoléon comprendra bien la raison de ces coutumes héréditairement transmises dans la maison de France. Il avait songé à rétablir le grand couvert, c’est-à-dire le repas public de la famille régnante ; puis il y avait renoncé : il y eût été gêné. Ni Louis XIII, ni Louis XIV,