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C’est l’un des points les moins connus, les moins compris du gouvernement royal dans l’ancienne France et sur lequel nous voudrions encore nous arrêter un instant.

« Si j’étais lieutenant de police, disait Louis XV, je défendrais les cabriolets. »

Parole célèbre, où l’on cherche communément un témoignage de l’insouciance et de la légèreté de celui qui l’a prononcée, au lieu d’y voir un détail caractéristique du gouvernement d’autrefois. Rapprochons-la du trait suivant :

A peine Charles Craon eut-il été nommé gouverneur d’Aigues-Mortes, qu’il ordonna de mettre en liberté tous les prisonniers de la grosse tour, et, comme on lui faisait craindre les conséquences de cette initiative :

« Le Roi, dit-il, est le maître de m’enlever le commandement qu’il m’a confié, mais non de m’empêcher d’en remplir les devoirs selon ma conscience et mon honneur. »

Louis XV pouvait, s’il le désirait, retirer au lieutenant de police les fonctions dont il l’avait chargé, mais tant que Sartine était en place, il ne pouvait pas lui imposer sa manière de voir.

Il en allait ainsi dans la France entière et dans toutes les parties du gouvernement.

Ce gouvernement était « personnel ; » nous voulons dire qu’il s’exerçait par les individus ; aujourd’hui il s’exerce par les règlemens. Un ministre ne connaît plus aujourd’hui de ses subordonnés que les fonctions dont ils ont à s’acquitter ; dans l’ancien temps les règlemens n’existaient pas. On vivait en commun par la puissance des traditions et des coutumes. Il y avait un certain nombre de gens en place qui, dans ces places, agissaient conformément à leurs croyances, à leur caractère, à leurs capacités. De nos jours, les particuliers employés par le gouvernement sont « quelque chose, » et de plus ou moins éminent selon la situation qu’ils occupent ; dans l’ancienne France, ils étaient « quelqu’un. »

Ici se présente une observation qui aide à comprendre Louis XIV. Il voulait gouverner par lui-même ; de là, pour lui, la nécessité, étant donné les contingences que nous indiquons, de connaître par lui-même, sinon tous ses sujets, du moins ceux d’entre eux qui étaient dépositaires de l’autorité ; de là, le désir qu’il exprimait de voir régulièrement à la Cour prélats, seigneurs,