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intendans, capitaines... « Louis XIV, dit Saint-Simon, obligeait les prélats qui s’étaient le plus attachés à leurs diocèses, à venir passer chaque année trois ou quatre jours auprès de lui. » Il voulait connaître tout ce qui marquait, voire les gens les plus retirés. Ce n’était pas par vanité ; ce n’était pas, ce qu’on croirait plutôt, pour rehausser de leur présence l’éclat de sa Cour, mais par une nécessité de son gouvernement. « C’est un homme que je ne vois jamais, disait-il, je ne le connais pas. » Et il s’efforçait du matin au soir, depuis son lever jusqu’à son coucher, de voir et de connaître tous ceux qui étaient venus auprès de lui. « Il regardait à droite, à gauche, dit Saint-Simon, à son lever, à son coucher, à ses repas, en passant dans les appartemens, dans les jardins de Versailles ; aucun ne lui échappait, jusqu’à ceux qui n’espéraient pas même être vus. » L’Etat ne s’administrait pas par des fonctionnaires : il s’administrait par la personnalité des gens en place et des autorités locales ; personnalités que le Roi devait connaître s’il voulait faire son métier.

De ces faits, suivons les conséquences :

Chacun dans sa place avait une liberté d’action dont nous avons perdu jusqu’au sentiment. Selon l’expression de Guy Coquille, sur tous les points du pays, le Roi avait « des compagnons en sa majesté. » « Louis XV en sa propre Cour, écrit le chevalier Déon au comte de Broglie, avait moins de pouvoir qu’un avocat du Roi au Châtelet. » Maurepas, premier ministre répond à Lauzun : « Je n’ai pu parvenir à faire ce que vous désiriez, vous n’aviez pour vous que le Roi et moi. »

Le « bon plaisir » du Roi était de toutes parts refoulé par d’autres « bons plaisirs » et dont chacun s’exerçait librement entre les limites qui lui étaient assignées.

Combien de fois ne voyons-nous pas la volonté souveraine arrêtée, et directement, franchement, par celle de ses ministres responsables et qui contresignaient jusqu’à ses lettres de cachet, expression de sa volonté personnelle. Du Haillan énumère les parties du gouvernement où le Roi est maître, puis il ajoute : (c Mais bien qu’il ait puissance absolue de toutes les choses susdites, si est-ce qu’il en fait bien peu sans l’avis de son conseil ; et bien souvent ce qu’il a dit, ordonné et accordé, est révoqué, cassé et rescindé par l’autorité d’icelui. »

Au reste Saint-Simon, en un passage souvent cité, n’a-t-il pas