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fait remarquer que jamais prince ne gouverna moins que ce monarque qui passe pour avoir été, parmi tous, le prince le plus absolu ? Ainsi s’expliquent tant de trails conservés dans les annales de notre ancienne monarchie. Qui ne connaît l’histoire du Secret du Roi, si bien contée par le duc de Broglie ? En cachette Louis XV dirige une diplomatie opposée à celle de son ministre. Le comte de Broglie en est chargé. L’intrigue coûte 10 000 livres par mois ; car le Roi est impuissant à imposer ses idées à son ministre, d’autant que celui-ci a l’appui du Conseil. Mais pourquoi, dira-t-on, ne changeait-il pas de secrétaire d’Etat ? C’est qu’on ne changeait pas de ministre aussi facilement au XVIIIe siècle qu’en notre temps, et précisément à cause de la personnalité de ceux qui étaient en place, et à cause du respect des traditions dont toute la vie publique était faite. Or il arriva que le secret du Roi fut dévoilé. On imagine la colère du secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères. Malheur aux agens du souverain. Le comte de Broglie est disgracié, Dumouriez et Favier sont mis à la Bastille.

Louis XVI entretiendra de même une correspondance secrète avec Vergennes, à l’insu de son Conseil, correspondance cachée par lui dans ses petits appartemens, au-dessus de la pièce des enclumes, où le Roi se livrait à ses travaux de serrurerie.

L’indépendance des gouverneurs provinciaux était encore accrue par la distance et la lenteur des communications. « On voit, en pleine paix, observe M. le vicomte d’Avenel, le souverain chercher à faire révolter ses sujets contre leur gouverneur, afin de chasser celui-ci d’une place ; on le voit traiter avec des bourgeois influens pour surprendre une citadelle que le Roi avait confiée à sa garde. »

Même spectacle si nous passons du grand au petit.

Prenons un exemple entre cent : l’administration du For-l’Evêque. Elle était placée sous l’autorité d’un concierge, — nous dirions d’un directeur, — assisté d’un greffier, — nous dirions d’un secrétaire général. L’un et l’autre une fois nommés conservaient, comme il vient d’être dit, leur liberté d’action. Cependant il fallait garantir les prisonniers contre les abus possibles. Voici ce qu’on avait organisé : l’intérêt du concierge était que les prisonniers restassent très longtemps sous les verrous, à cause du profit que lui procurait la location des chambres occupées par eux ; l’intérêt du greffier, au contraire,