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était que les prisonniers sortissent le plus tôt possible, car, à la sortie, il touchait les droits d’écrou et de recommandation. « En sorte que, écrit le concierge Dinant du Verger, si un concierge avide avoit le désir de retarder la liberté d’un prisonnier, il est naturel de penser que le greffier y mettroit obstacle. »

Cette manière de régler l’administration d’une maison de détention paraîtrait à j notre génie administratif une vraie extravagance : elle était toute conforme à l’esprit de l’ancien temps.

Et ne voit-on pas le pouvoir royal lui-même encourager les dépositaires de son autorité, dans leur résistance, quand, depuis le XIVe siècle jusqu’au XVIIIe siècle, il enjoint à ses baillis, sénéchaux, gens de justice, conseillers au Parlement, de ne mettre ses ordres à exécution que s’ils n’y trouvent rien qui soit contraire au droit ou aux devoirs de leurs charges, au bien ou à l’équité. Admirable conception du gouvernement d’un pays libre et sur laquelle les modernes ne sauraient assez réfléchir. « Il y a, disent les remontrances du 9 avril 1753, — nous sommes au XVIIIe siècle, et c’est le Parlement qui s’adresse directement au Roi, — il y a une économie aussi ancienne que la monarchie, qui assure l’observation de l’ordre ; c’est la gradation des pouvoirs intermédiaires qui, dépendant du souverain dont ils émanent, forment l’enchaînement de toutes les parties de l’Etat ;... dépôt sacré, où l’autorité souveraine et la confiance des sujets s’unissent intimement, degrés nécessaires pour établir la communication entre le trône et les peuples... » Ce que répète Montesquieu, pour lequel ces « pouvoirs intermédiaires » constituent la nature même du gouvernement monarchique.

Ce respect de l’indépendance laissée aux « officiers, » nous dirions aux « fonctionnaires, » tenait à des causes diverses ; à l’hérédité et à la vénalité qui faisaient que chacun était propriétaire de son office. Il tenait aussi à ce qu’un récent historien, M. Mariéjol, appelle très bien « la force d’opinion, » qui résidait dans les personnes en fonction. Sans oublier cette hiérarchie des personnes en groupemens de clientèle, ces liens d’homme à homme, tradition du Moyen âge, qui faisaient de tout personnage en place une puissance avec laquelle les plus puissans devaient compter. Au point que, sous la Régence, le Duc d’Orléans se voit obligé, quoi qu’il en ait, de faire entrer au Conseil des