Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 5.djvu/937

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

personnages qui sont notoirement ses ennemis ; leur position sociale les y inclinait si fortement, qu’il lui était impossible de les en écarter. « La formation du Conseil de Régence, écrit Saint-Simon, fut très difficile. Il devait être composé d’assez peu de membres pour le prendre plus auguste, et il y avait plusieurs personnes ennemies de M. le Duc d’Orléans que leur état ne permettait pas d’en exclure. »

Contingences qui expliquent aussi l’obligation où était le Roi d’envoyer immédiatement en exil, loin de la Cour et loin de Paris, ceux de ses ministres auxquels il retirait leur portefeuille. Leur situation personnelle aurait créé les plus grands ennuis, s’ils fussent restés dans les en tours du gouvernement. On fit exception, sous Louis XVI, en faveur du duc d’Aiguillon. Le duc demeure à Paris « embusqué dans son hôtel, » pour reprendre l’expression de M. le marquis de Ségur. Et entouré d’une cour de fidèles, d’alliés, d’obligés, Aiguillon devient pour la Cour la cause de mille difficultés et embarras.

Et nous n’avons pas parlé de l’organisation même de la famille, de sa constitution si robuste, si indépendante, sous la direction de son chef, où les pouvoirs publics trouvaient des barrières infranchissables et qui ne cessèrent de les faire reculer.


« L’autorité du Roi, disait Rétif de la Bretonne, existe séparément : elle laisse les autres autorités tout entières. » Et le marquis de Mirabeau en s’adressant au Roi : « Votre puissance n’est autre chose que la réunion d’une multitude de volontés fortes et actives à la vôtre. » Si bien que, dans l’ancienne France, le « bon plaisir » était l’essence même du gouvernement ; par quoi il faut entendre, non pas un régime arbitraire, une tyrannie à la mode du Bas-Empire romain, ou des monarchies orientales, — et sur ce point Robespierre lui-même devait rendre justice à nos rois ; — mais une vie publique où chacun conservait sa liberté d’initiative, sa franche allure et son indépendance personnelle. Au sommet de la hiérarchie apparaissait le monarque et, du haut en bas, chacun dans la sphère où il était appelé à se mouvoir, agissait « à son instar, » si l’on veut bien nous permettre de parler ainsi. En ce temps, l’art du gouvernement