Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 5.djvu/938

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

consistait à éviter les heurts, les contestations entre les « autorités, » entre les mille et mille volontés librement agissantes dont le groupement formait la nation, en quoi le rôle du souverain demeura jusqu’à la fin de l’ancien régime ce qu’il avait été dans les premiers siècles où avaient régné les Capétiens : « Accorder ses sujets les uns avec les autres et tous ensemble avec soi. » La force des traditions et des coutumes, la communauté des croyances et des aspirations, facilitaient l’accomplissement de cette grande tâche. La monarchie de France, conclut en quelques lignes, d’une merveilleuse ampleur et clairvoyance, l’évêque Claude de Seyssel, la monarchie de France se conserve « par l’entretenement des sujets de tous états en bon accord et au contentement d’un chacun : cause principale de la conservation et augmentation d’icelle monarchie. Moult est requis de l’entretenir et garder qu’elle ne vienne à discord, car facilement s’ensuivroit la ruine de la monarchie. Et pour ne venir à cet inconvénient ne faut autre chose, fors entretenir lesdits états chacun en ses libertés, privilèges et coutumes. »

Et tel a été durant huit siècles, — spectacle unique dans l’histoire du monde, — tout le gouvernement de notre ancienne monarchie.


L’ensemble du régime apparaîtra une fois de plus dans sa vraie lumière, si nous le comparons avec le gouvernement impérial, tel qu’il devait sortir de l’œuvre centralisatrice et administrative de la Révolution :

« C’est par millions, écrit M. Frédéric Masson, que l’on compterait les signatures (données par l’Empereur), car la Correspondance publiée avec ses 22 000 numéros ne contient pas la cent millième partie de ses lettres, de ses ordres, de ses décisions, nul décret, nul brevet, nulles lettres patentes, nul contrat de mariage, nul des actes de nomination et de destitution, nulle des lettres closes ou des lettres de grâce, nul de ces morceaux de papier ou de parchemin qui, chaque jour, dans cet Empire qui était l’Europe, allait récompenser ou punir à tous les degrés des hiérarchies diverses, judiciaire, administrative, financière, militaire. Ce corps immense n’avait qu’un cœur où tout le sang refluait par toutes les veines pour être chassé