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pour contredire sa thèse, du moins pour en réduire considérablement la portée. Le critique allemand, d’ailleurs, ne cherche pas à nous dissimuler tout ce que l’amour de son héros pour la musique a toujours eu d’étroit et de suranné. Il ne se fait pas faute de nous citer, notamment, cet aveu caractéristique du poète : « La musique n’est rien sans la voix humaine. » Et l’ensemble de ses deux volumes nous prouve assez combien Gœthe, dès sa jeunesse et jusqu’à sa mort, est resté obstinément fidèle à une conception esthétique aussi singulière, excluant du domaine de l’art toutes les formes de la musique instrumentale. « Des mélodies non accompagnées de paroles, — disait-il encore, — sont pour moi comme des papillons ou de jolis oiseaux colorés qui voltigent, çà et là, au-dessus de nos têtes. » Je ne crois pas que jamais il ait pris un plaisir réel à une symphonie, à une œuvre quelconque d’orchestre ou de musique de chambre, voire à une composition pour le piano, — sauf peut-être aux fugues de Sébastien Bach et aux libres fantaisies improvisées, dans sa chambre de Weimar, par l’enfant-prodige Félix Mendelssohn : les premières le séduisant parce qu’il prétendait y découvrir comme des « problèmes mathématiques, avec des données très simples aboutissant à des résultats d’une complication grandiose, » tandis que l’improvisation du petit Mendelssohn devait surtout émouvoir en lui le psychologue, peut-être aussi l’amateur passionné de « curiosités » naturelles. A quatre-vingts ans de même qu’au temps lointain de ces « années d’apprentissage » où le jeune étudiant suivait volontiers ses amis (ou amies) dans les salles de concert de Leipzig et de Strasbourg, toutes les grandes créations instrumentales des Bach et des Hændel, et de Haydn, et de Mozart, et de Beethoven n’étaient pour lui littéralement « rien ; » et il n’y avait pas jusqu’aux ouvertures écrites pour ses drames, pour les opéras composés sur des livrets de son invention, qui ne lui demeurassent manifestement indifférentes, pour ne pas dire antipathiques, acceptées par lui comme un sacrifice nécessaire à ce qu’il tenait pour une regrettable erreur du goût perverti de sa race.

Encore n’allait-il pas très loin dans son amour de la seule musique qu’il consentît à admirer, celle qui se traduit « par la voix humaine. » Il concédait à son vieil ami Zelter que les oratorios de Hændel et les Passions de Bach étaient de belles œuvres ; mais pas une fois l’idée ne lui est venue d’aller les écouter à Berlin, où son ami en donnait des exécutions sans pareilles, ni même de se les faire exécuter chez lui, à Weimar, si ce n’est par manière d’exposition historique. L’opéra, le grand opéra italien, français, ou allemand, l’ennuyait à tel point