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D’année en année, à mesure que se déroule devant nous sa noble carrière, nous le voyons se rendant mieux compte en soi-même, et proclamant au dehors avec plus de franchise sa répugnance pour toute musique qui ne tâche pas simplement à nous « divertir. » Les deux volumes de M. Bode contiennent, à ce propos, quelques citations bien curieuses : soit que, dans ses propres lettres, le vieux poète se plaigne avec une amertume indignée de la scandaleuse présomption des nouveaux théoriciens, qui osent prescrire à la musique la tâche d’émouvoir profondément les cœurs alors que son unique objet a été et sera toujours de délasser l’esprit en charmant les oreilles ; ou bien qu’il se réjouisse de s’entendre affirmer, dans une lettre de son confident et conseiller Zelter, que les jeunes musiciens, et notamment Beethoven, « emploient la massue d’Hercule pour écraser des mouches. » Durant sa jeunesse, l’auteur « romantique » de Werther se croyait encore tenu d’apprécier la forte grandeur des opéras de Gluck : plus tard, le poète « olympien » en arrive à ressentir une irritation passionnée, une véritable colère, — et assez surprenante chez lui, — lorsque l’un de ses correspondans ou quelqu’un de son entourage risque devant lui une allusion à la possibilité, pour la musique, de rivaliser en puissance d’émotion avec la poésie ou l’art dramatique.


D’où vient donc que la musique ait occupé tant de place dans la vie d’un homme qui toujours s’est fait d’elle une idée aussi pauvre ? Notre Victor Hugo, lui non plus, — quoi qu’on en ait dit, — n’a pas beaucoup aimé la musique : mais je ne pense pas que jamais personne s’avise d’étudier ses rapports avec l’art musical de son temps. Tandis que voici deux gros volumes entièrement consacrés au « rôle de la musique dans la vie de Gœthe ; » et non seulement ces deux volumes ne nous offrent point trace de digressions inutiles ou de « remplissage : » mais je ne saurais dire à quel point ils sont instructifs, et même amusans, nous promenant d’un bout à l’autre de la glorieuse carrière du poète allemand sans que jamais il cesse de nous apparaître dans tout le plein relief de sa riche et puissante individualité. Il y a là un petit problème historique, mais beaucoup plus explicable qu’on pourrait le supposer, et dont l’ouvrage de M. Bode nous permet, aujourd’hui d’entrevoir bien aisément la solution.

Car, en premier lieu, il ne faut pas oublier que ce poète qui n’aimait pas la musique, — ou du moins ne l’aimait que sous une forme