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et dans des proportions infiniment restreintes, — appartenait et par sa naissance et par toutes les racines de son génie poétique à une nation dont on a pu dire justement que la musique était pour elle un besoin inné, comme le manger et le boire. Si même il avait eu, personnellement, encore moins de curiosité et de goût pour la musique, Gœthe, de par sa race et son éducation, aurait encore été hors d’état de s’en passer pour l’usage quotidien de sa vie intime et sociale. Pareil à l’énorme majorité de ses compatriotes, il s’était accoutumé dès le berceau à ne pouvoir pas concevoir l’existence, et en particulier quelques-uns de ses modes les plus import ans, tels que les repas, les réunions d’amis, ou les tête-à-tête amoureux, autrement qu’enveloppés d’une atmosphère musicale. Enfant, il avait été nourri de chansons autant que de lait ; collégien, il n’avait pas douté un seul instant de l’obligation pour lui d’apprendre le clavecin ; étudiant, il avait dû forcément s’affilier à des sociétés chorales, et c’est encore la musique qui, forcément, avait été le premier sujet de ses entretiens avec ces charmantes jeunes filles de Saxe, de Thuringe, puis d’Alsace, dont il nous a laissé d’inoubliables portraits. Dire de lui qu’il n’aimait pas la musique, cela signifie simplement qu’il ne lui accordait qu’une très petite part de son cœur, en plus du besoin instinctif qu’il avait d’elle pour orner, égayer et remplir ses journées. Si bien que ses biographes, par cela seul qu’il était Allemand et vivait de la vie de son milieu national, ne sauraient s’empêcher de nous rendre compte de ce qu’a été le décor « musical » des diverses étapes de sa carrière.

Mais en outre il faut songer que cet Allemand était un poète, et un poète dont la gloire populaire venait bien moins de ses drames que de ses exquises petites pièces lyriques : sans compter que toujours dans ses drames eux-mêmes comme dans ses romans, le cœur de ses compatriotes est allé avant tout aux nombreux « intermèdes » lyriques qui s’y trouvaient semés, chansons de Claire, de Marguerite, ou de Mignon, strophes ailées jaillissant tout d’un coup parmi des pages de prose ou de solennels grands vers alexandrins. Or, les premiers de ces chefs-d’œuvre du jeune poète francfortois se sont produits en un temps où toute petite pièce de ce genre s’appelait une « chanson, » et évoquait irrésistiblement l’idée, le désir d’une traduction musicale. Lorsque Lamartine, Victor Hugo, ou Musset offraient au lecteur français les recueils de leurs « odes » et de leurs « ballades, » il était entendu que ces poèmes devaient s’accommoder d’être simplement « lus, » avec un élément de mélodie et d’harmonie « parlées » qui