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l’autre les Monsigny et les Grétry avaient donné à la France. Il est vrai que cet opéra allemand, tel qu’il rêvait de le créer, se réduisait surtout à une « adaptation » de l’opéra-bouffe italien : un dialogue en beaux vers allemands, que le musicien traiterait à la manière des récitatifs italiens, et qui çà et là serait coupé de « chansons » ou de petits « ensembles. » Mais d’autant plus il désirait avoir auprès de soi un compositeur qui consentît à exécuter, sous sa direction immédiate, la partie musicale de ces œuvres nouvelles. Et ce n’est pas tout. De plus en plus, à mesure que grandissait sa jeune renommée, ce poète de génie aspirait à n’être pas seulement un poète, mais encore un savant et un esthéticien, le maître tout-puissant de la pensée allemande. C’est dire qu’il se promettait également de régner sur la musique nationale, et qu’à cette fin aussi, l’assistance d’un musicien professionnel lui était indispensable, d’un homme qui l’instruisît elle conseillât, lui fournît le fondement « technique » deses théories, le guidât dans l’appréciation des œuvres musicales, anciennes et modernes, sur lesquelles il aurait à se prononcer.

Pour tous ces motifs, le poète allemand, de très bonne heure, s’est mis en quête d’un musicien qu’il pût s’attacher, presque à la manière dont les princes d’alors attachaient à leur cour un « maître de chapelle. » Mais au contraire de ces princes, qui trouvaient assez aisément l’homme souhaité, on comprend que Gœthe ait eu quelque peine à découvrir un collaborateur musical entièrement conforme à l’image idéale qu’il s’en était faite. Il lui fallait un artiste à la fois très savant et foncièrement médiocre, capable de l’aider dans ses divers travaux esthétiques ; capable aussi de comprendre et d’appliquer toutes les indications qu’il recevrait de lui touchant la « mise au point » de ses poèmes, lyriques ou dramatiques ; et néanmoins assez modeste (et d’un génie personnel assez mince) pour se résigner à ce rôle effacé de « metteur au point, » sans que jamais son originalité propre risquât d’égaler ou de surpasser celle du poète qui lui faisait l’honneur de l’associer à sa destinée. On s’est souvent étonné que l’auteur de Werther et d’Egmont, préoccupé comme il l’a été toute sa vie du choix d’un musicien pour « interpréter » ses poèmes, n’ait jamais eu l’idée de s’adresser à aucun des maîtres immortels qui -vivaient en son temps ; et vraiment il y a quelque chose d’étrange, au premier abord, dans ce fait incontestable que, pendant que Goethe réclamait à tous les vents un compositeur pour traduire sa pensée poétique, des compositeurs tels que Gluck, puis Mozart, puis Beethoven et Schubert et Weber suppliaient anxieusement,