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— et vainement, — tons leurs amis de leur procurer un beau poème d’opéra ou d’opéra-comique. Mais en réalité la chose n’a rien que de parfaitement explicable. Ce n’était pas un musicien de l’espèce de ceux-là que désirait avoir à son service le poète-philosophe de Weimar. Ces musiciens, il les redoutait et les détestait déjà, comme on l’a vu, pour des raisons théoriques, leur reprochant de « défigurer » ses poèmes ; mais par-dessus tout il sentait que des maîtres d’une individualité aussi forte ne sauraient avoir rien de commun avec le docile et zélé serviteur dont il avait besoin.

Si bien que, toute sa vie, il s’est ingénié à découvrir ce musicien idéal, et puis, l’ayant découvert, à le former et à l’ « entraîner, » et à tirer ensuite profit de son assistance, en attendant qu’un jour il se vît oblige de le « remercier : » soit qu’il ne réussit décidément pas à l’utiliser avec tout le fruit désirable, ou encore que sa chance lui permit de rencontrer ailleurs un autre musicien plus apte à le servir selon ses souhaits. C’est là ce qui prête à l’ouvrage de M. Wilhelm Bode un intérêt biographique exceptionnel. Autant un livre aurait risqué de nous ennuyer où l’auteur se serait borné à énumérer les œuvres musicales entendues, pendant trois quarts de siècle, par un homme qui n’a jamais profondément aimé la musique, autant nous prenons de plaisir à la lecture d’un récit où cet homme nous est montré, sans arrêt, recherchant de tous côtés le collaborateur musical qu’il a résolu d’avoir auprès de lui, et l’accablant de marques d’affection lorsqu’il l’a trouvé, et le congédiant, tôt ou tard, pour transmettre sa faveur à un rival plus heureux. Car il ne faut pas oublier que ce prétendu « Olympien » était un passionné, ainsi que doit l’être tout poète de race ; et à ses relations avec la petite série de ses musiciens « intimes, » notamment, il a apporté toujours une flamme vivante, un mélange fiévreux de tendresse, d’enthousiasme, et de déception, dont la peinture aurait presque de quoi égaler, pour nous, l’attrait romanesque du tableau de ses plus célèbres idylles ou tragédies amoureuses. Hélas ! je ne puis songer à raconter ici ce curieux roman « musical » de la vie de Gœthe ; tout au plus vais-je essayer d’en résumer très rapidement l’un des chapitres, l’histoire des relations du poète avec le premier des compositeurs qui ont occupé près de lui, tour à tour, l’emploi de ce que l’on a appelé son « maître de chapelle privé. »

Ce premier en date des confidens et serviteurs musicaux de Gœthe, Christian Kayser, était, sans aucun doute possible, le mieux doué de tous. Il était concitoyen de Gœthe, mais d’une origine beaucoup