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moins relevée, ayant pour père un pauvre organiste de Francfort. Dès le collège, son double talent de poète et de musicien lui avait valu l’admiration respectueuse de ses camarades ; et lorsque, en 1775, le jeune Goethe l’avait prié d’adapter, sur des vers allemands qu’il venait d’écrire, un air de Grétry qu’il aimait entre tous, tout de suite Kayser avait procédé à ce petit travail avec une adresse et un goût qui avaient éveillé chez le poète le désir de faire désormais de lui son musicien attitré. Malheureusement, Kayser avait été obligé, peu de temps après, de quitter l’Allemagne pour s’installer à Zurich, où, pendant un demi-siècle, il allait vivre obscurément du maigre produit de quelques leçons de clavecin. N’importe : son ambitieux compatriote n’en restait pas moins résolu à utiliser, même de loin, toute la science et toute l’émotion poétique qu’il avait eu la joie de découvrir en lui. Sans cesse il lui écrivait, à Zurich, de longues lettres remplies d’éloges et d’encouragemens chaleureux. « Je te porte toujours dans mon cœur ! lui disait-il. Envoie-moi souvent quelque chose de ta composition !... Et rassure-toi, prends confiance ! Tu verras que tout finira par nous réussir ! » Comme l’on pense bien, il joignait à ces lettres tous ses petits poèmes, au fur et à mesure de leur achèvement ; et son protégé zurichois les lui renvoyait par la poste suivante, « ornés » d’une musique très simple, mais certes la plus fidèle qu’on pût rêver au sentiment des poèmes, et parfois d’une exquise beauté mélodique. Et de mois en mois, puis d’année en année, nous voyons s’accroître l’estime de Goethe pour ce parfait interprète de sa pensée, jusqu’à ce qu’enfin le poète imagine d’employer Kayser à la réalisation de ce nouvel opéra allemand dont je parlais tout à l’heure. Il lui envoie, notamment, une sorte d’opéra-bouffe écrit en légers et délicieux petits vers allemands, une pièce en quatre actes intitulée Plaisanterie, Rancune et Vengeance où les trois uniques personnages, Scapin, Scapine et le Docteur, échangent des propos d’un comique assez pauvre en une langue qui égale pour le moins la verve harmonieuse d’un Gautier ou d’un Banville.

Confier une œuvre comme celle-là, — déjà « impossible » par soi-même, — à un musicien de la qualité du savant, pensif, et mélancolique Kayser, c’était comme si l’on eût demandé à Schumann ou à Chopin de mettre en musique le livret des Rendez-vous bourgeois. Mais Kayser, docilement, se mit aussitôt à l’œuvre ; et pendant plus d’un an cet opéra-comique servit d’occasion à une correspondance où le caractère de chacun des deux amis se montre à nous de la façon la plus significative, pour ne rien dire de l’extraordinaire floraison