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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/117

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La Révolution s’était faite contre le Roi et contre l’Église. Il semblait au Roi et à l’Eglise qu’attaqués ensemble, vaincus ensemble, ils dussent à la longue, après des revers sans nom, noblement supportés, vaincre ensemble, gouverner ensemble et sceller, dans le souvenir des malheurs passés, une union indestructible. Ainsi qui était bourbonien était catholique, et qui était catholique était bourbonien. Le Roi croyait à sa mission divine, l’Eglise y croyait aussi. Elle pensait qu’être l’alliée, le soutien de la royauté lui rendait à elle-même un lustre nouveau. Déjà Louis XVIII, bien que politique et défiant, n’avait pu se soustraire envers le clergé français, compagnon de son long exil, aux obligations que créaient les liens anciens, les dévouemens, les souffrances supportées pour sa cause. Avec Charles X, l’alliance entre le trône et l’autel sembla devenir un pacte intéressé de mutuelle défense. Les autres trônes de l’Europe la virent se refaire d’un œil bienveillant et rassuré. Ils croyaient y trouver eux-mêmes un surcroît de solidité. Mais la nation, elle, ne voulait pas d’une religion commandée, maîtresse de la vie publique, administrée au nom du Roi et compromise dans ses fautes.

Dans les longues réflexions auxquelles invite la fréquentation des étrangers, Montalembert sentait tout cela. Aussi cherchait-il à ce moment les tuteurs de sa pensée, non parmi les catholiques de France, mais parmi ceux d’Allemagne, et tandis qu’il faisait de la philosophie une entreprise religieuse, il était attiré par une nouvelle école qui semblait faire de la religion une entreprise intellectuelle. Là du moins, il trouvait une spéculation désintéressée. Il lisait avec enthousiasme Schelling, Zimmer, Baader. Il reconnaissait en eux ce souci, qui le tourmentait lui-même, de ne pas laisser la pensée moderne, hardie et novatrice, s’échapper du Christianisme. « Je ne sais, écrivait-il, quelle sympathie extraordinaire il y a entre les nobles efforts qui ont signalé l’apparition des chefs de cette école et mes faibles débats contre l’influence de mes maîtres et de mes camarades. Comme moi ils ont senti qu’un dogmatisme déplacé et ignorant ne suffirait plus pour convaincre et réfuter une généra- lion éprise de raisonnemens et de science, et ils ont été puiser dans la science même des argumens en faveur de leur foi. »

Le premier degré de cette science dont il sentait le besoin était de connaître les hommes. Il avait vu à l’œuvre les libéraux