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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/142

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obéissant comme lui et muet comme lui, se tenait à la Chesnaie : leur cause était la même, leur bonne foi était pareille. Il l’avait cru, il avait voulu le croire, ses yeux se dessillaient. Un sanglot lui venait à la vue de ce maître qui trahissait soudain le singulier mensonge derrière lequel il s’était abrité et sortait de l’ombre tout armé non seulement pour la résistance, mais pour une furieuse attaque. « Au nom de tout ce qu’il y a de plus sacré, disait-il, au nom des croyances qui vous restent encore, au nom de ma tendre affection pour vous et de la vôtre pour moi, ne cédez pas à cette tentation terrible. »

Rien de plus étrange que de lire la réponse de Lamennais. Il ne veut rien voir des conséquences d’un acte qui lui est, dit-il, inspiré directement par l’Esprit. Il suit la voix qui a pris possession de son âme. Il n’entend plus qu’elle. Elle couvre toutes les supplications, tous les raisonnemens, toutes les réalités. Avec un orgueil tranquille, il espère éblouir Montalembert par le succès triomphal du livre qui a jeté sur l’obscurité où se perpétrait l’assassinat du genre humain un éclair flamboyant. « Les paroles d’un croyant, dit-il, il faudrait les tirer à trente-deux millions d’exemplaires comme Dieu a tiré le peuple français. » Son œuvre est traduite dans toutes les langues ; elle fait peur à tous les rois ; elle donne confiance à tous les peuples ; les étudians pauvres s’inscrivent dans les bibliothèques pour venir à minutes comptées toucher la nouvelle Bible et en lire pieusement les versets. Il copie pour Montalembert les lettres d’adhésion qu’il reçoit et quand il voit le jeune homme rester insensible à tant de gloire et s’ériger en juge sévère, il affecte une espèce de sérénité froide, la volonté de se dérober à toute discussion ; il s’isole dans la béatitude et répond par le sourire de l’innocent à la vision des maux qu’il déchaîne. Jamais il n’a été si calme, si heureux. « Je ne sais ce que je te suis, dit-il, mais tu seras toujours mon enfant bien-aimé. »

Mais quand le Pape l’a condamné, il tremble de se voir condamné aussi par Montalembert. La colère des rois, la sentence du Pape, le font rire de plaisir, mais le jugement de Montalembert lui fait peur. Il lui écrit avec une douceur humble : « Je suis plus affligé pour toi que pour moi. J’ai peur que tu ne t’affectes trop d’un jugement que Dieu a permis. » Il espère toujours le reprendre par l’autorité de la présence, des entretiens de chaque jour où l’amitié, la confiance se ranimeront