Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/150

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Deux d’entre eux avaient cette habitude de noter les événemens de chaque jour : Joseph, comte de Maurienne et Charles-Félix, duc de Genevois. Dès leur jeune âge, tous deux avaient été habitués, par leur gouverneur, le chevalier de Salmour, à résumer quotidiennement leurs impressions. Mais tandis que le Diario du comte de Maurienne ne contient guère qu’une notation un peu sèche des événemens de chaque jour, celui du duc de Genevois, plus complet et circonstancié, est coupé, pour l’agrément du lecteur, de portraits curieusement brossés et de réflexions souvent justes, parfois amusantes mais toujours empreintes de sévérité ! Sous la dure férule d’un gouverneur inflexible, le jeune prince avait acquis cette intransigeance et cette rigidité de principes qui lui faisaient porter sur les hommes et les événemens des jugemens dépourvus d’indulgence ; et si cette éducation draconienne avait eu l’avantage de lui épargner le dangereux écueil des passions juvéniles, elle avait eu l’inconvénient d’éteindre l’enjouement de son caractère et la vivacité naturelle de son esprit. C’est ce qui explique la place excessive que tient dans le Diario la relation des nombreuses cérémonies religieuses auxquelles les princes assistent quotidiennement. Mais Charles-Félix était un observateur intelligent et son récit présente, avec de réelles qualités d’ordre et de netteté bien rares chez un jeune homme de cet âge, une vivacité de ton qui en fait une lecture vivante et pleine d’intérêt. Le journal est écrit en français et, bien que cette langue fût celle dont les princes de Savoie usaient habituellement entre eux, de préférence à l’italien ou au piémontais, on sent au relâchement du style que l’auteur n’écrit pas dans sa langue maternelle. Mais c’est cette impropriété même des termes qui donne souvent au récit son originalité et sa couleur, et j’ai respecté soigneusement sa rédaction, toutes les fois que cela m’a été possible sans nuire à la clarté de la narration des événemens. Ce Diario qu’il avait commencé en 1785, Charles-Félix le continua à peu près régulièrement jusqu’en 1813. Quelques volumes ont malheureusement disparu, mais la plus grande partie est conservée dans les archives privées du roi d’Italie et dans celles du duc de Gênes. On peut juger de la grande valeur que possède aux yeux de l’histoire un tel document resté inédit. Sa Majesté le roi d’Italie et Son Altesse Royale Mgr le duc de Gênes ont bien voulu, par une faveur exceptionnelle, me permettre