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s’échappe sans bruit, puis se cache, puis reparaît au milieu d’une nappe verte, comme dans une cressonnière.

Parce que la mer a bouché le goulot, l’eau courante n’est presque plus courante : mais la vallée large creusée jadis par la rivière dans le plateau calcaire subsiste ; elle subsiste avec ses alluvions ; elle subsiste avec son sous-sol gorgé d’eau où les « norias » peuvent aller puiser ; cette zone en contre-bas, riche et abritée, est devenue la zone des jardins, c’est la « huerta » de Mahon ; c’est là l’« école d’application » de ces « Mahonais » patiens et experts « horticulteurs » qui sont allés porter en Algérie notamment, dans la province d’Oran, à Bel-Abbès et ailleurs, le bénéfice de leur opiniâtre expérience culturale.

De l’ancienne vallée façonnée en d’autres temps par les eaux violentes que reste-t-il aujourd’hui ? Un damier d’arbustes et de légumes parsemés de petites maisons blanches, qui s’achève juste au mur artificiel où commence le port semé de voiles blanches. Un jardin et un golfe.

Jardin qui compte bien peu d’hectares et qui ne peut suffire à nourrir une population de 18 000 habitans. Sur le haut du plateau où la roche affleure en tous points il a fallu créer aussi des champs et des jardins. On a défriché pierre à pierre toute la surface, non seulement dans les environs immédiats de Mahon, mais, pourrait-on presque dire, dans toute l’île ; on a dressé ces pierres en murs innombrables de 1 à 2 mètres de hauteur qui sont à la fois des débarras et des protecteurs. Le vent et surtout le vent du Nord, fréquent et fort, souffle le froid mortel aux plantes. Sur ces causses horizontaux, les taillis eux-mêmes de buis et d’oliviers sauvages ne s’élèvent droit que jusqu’à la hauteur des murs ; puis, arrivés à ce niveau, ils sont courbés et couchés en masses oblongues qui inclinent leur difformité vers le Sud.

« Il y a peu de terre, mais elle est bonne, » disent les paysans de Minorque. C’est une terre de décalcification du calcaire ; terre riche en effet, rougeâtre, ferrugineuse qui se loge, en épaisseurs très irrégulières, dans les sillons et dans les poches de la surface rocheuse. Elle est le bien par excellence ; c’est elle qui fait pousser le blé et l’avoine, la vigne et les figuiers ; on la traite avec un amour avare. Dans la banlieue de Mahon, entre la capitale et le joli bourg de San Luis, sur de petits terrains, toujours enclos de grands murs, on va bâtir des villas ; le premier travail consiste à racler les saillies calcaires pour y ramasser toutes les parcelles de terre végétale ; j’ai vu des hommes