Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/197

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

nettoyer ainsi avec une petite bêche recourbée toutes les aspérités de la pierre comme on pourrait nettoyer des fossiles précieux, et recueillir, même avec les mains, bribe à bribe, toutes les miettes du festin.

À l’autre extrémité de l’île, dans les environs de Ciudadela, le causse est encore plus pierreux, plus maigre, plus pelé. C’est pourtant et toujours entre les grands murs gris, et parmi même les larges plaques ou échines saillantes du roc que l’on sème et que lèvent les beaux et hauts fromens. Où pourrait-on voir des spécimens aussi paradoxaux de culture féconde en pays sec et pauvre ? Et comment expliquer cette merveille, sinon par les antiques procédés du dry farming méditerranéen ?

Toute la partie centrale de Minorque, plus montueuse, plus accidentée, est aussi plus favorisée ; elle a des fonds où la terre végétale s’est accumulée ; il est des champs où l’on peut labourer sans que le soc de la charrue heurte la pierre dure ; et les collines sont aussi des écrans propices qui sauvent les cultures des atteintes trop directes du vent. Aussi le principal prodige n’est-il pas là, mais sur la périphérie, où les ports-citadelles (Ciudadela veut dire citadelle) se sont nécessairement installés et où la vie urbaine s’est par excellence concentrée.

Mahon, la capitale actuelle, — qui revendique la gloire carthaginoise d’avoir été fondée par Magon, frère d’Annibal, — Ciudadela, l’ancienne capitale, celle qui garde encore du passé la cathédrale et l’évêché, sont d’un tout autre type que tant de petites villes de Majorque ; du haut des falaises de 20 mètres qui dominaient les golfes pénétrans, elles pouvaient être, tout près de la mer même, des postes de défense. Elles sont bâties serrées, les maisons drues, tout droit et tout près au-dessus des havres naturels qu’elles surveillent.

Elles sont les vraies villes de la Menorca, elles sont les seules. L’une a près de 18 000 habitans, et l’autre près de la moitié ; à elles deux, elles confisquent plus des deux tiers de la population totale de l’île. De par leur situation, elles accaparent toute la vie.

Elles ont grand air ; leurs enceintes sont partiellement démolies ; mais elles conservent cette allure de cités qui ont un passé ; parmi les villes comme parmi les hommes, même lorsqu’ils sont déchus, il y a comme un signe visible de fierté historique qui est la survivance de l’hérédité et de la race.