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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/199

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à toits à deux pans qui s’appellent des « ponts ; » sur de larges murs latéraux sont dressées de grandes pierres plates d’un mètre de longueur, — et régulièrement taillées, celles-là, — qui s’appuient l’une sur l’autre et se maintiennent l’une l’autre comme peuvent tenir face à face deux cartes d’un jeu. Le « pont » est d’un art plus avancé, puisqu’il nécessite la taille habile de grandes dalles.

Qu’il s’agisse des « barracas » ou des « ponts, » les murs en sont très épais ; la partie inférieure des murs de certaines barracas que j’ai mesurés n’avait pas moins de deux mètres. Quelles accumulations de matériaux pour se procurer de toutes petites salles ! Quel gaspillage de pierres, qui serait insensé, si les pierres n’étaient pas précisément surabondantes à l’extrême et à l’excès, si le problème n’était pas de les dresser et de les amonceler pour en dégarnir le sol, et si partout ces « édifices » tout à la fois primitifs et actuels ne témoignaient pas d’une singulière adaptation des modalités de la construction humaine au cadre géographique !

Adaptation qui paraît dater de l’origine de l’installation des hommes et qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours, sous des formes variées et réduites, mais rigoureusement analogues ; et, fait remarquable : c’est dans l’Ouest de l’île que les ruines des « talayots » s’élèvent le plus nombreuses et c’est encore dans l’Ouest que l’usage s’est maintenu le plus courant de bâtir ces barracas qui mériteraient en vérité d’être appelées des répliques en miniature de ces très antiques monumens.


V

En parcourant ces deux îles, où la vie se maintient si laborieuse, la pensée est sans cesse reprise par le passé. Tout ce bruit de bêches et de pioches travaillant le sol, tous ces coups répétés de pierres amoncelées sont les échos prolongés d’une si ancienne tradition, laquelle contredit les exigences de la production moderne. Comment peut-on imaginer que puisse aujourd’hui s’installer et prospérer, surtout sur une île telle que Minorque, une population de 40 000 habitans ? Minorque n’est à tout prendre qu’un causse stérile, comme celui du centre de la Crimée ou comme ceux du Sud du Massif central français, bon pour des pâtres et pour leurs troupeaux, mais qui semblerait rebelle à tout intense effort de culture proprement dite.