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Or il y a certes des moutons à Minorque, qui, lorsque les carrés de terre et de roc enceints de murs sont en jachère ou lorsque les récoltes ont été faites, pénètrent dans les espaces clos et y broutent leur subsistance ; mais ce n’est qu’un accessoire ; le principal est la culture des céréales, la culture des arbustes et des arbres, la production de tous les végétaux qui peuvent suffire à entretenir la vie humaine.

À coup sûr, cette activité pourrait aujourd’hui s’employer d’une manière plus enrichissante ; mais quel est le groupe d’hommes qui peut du jour au lendemain muer en une autre sa forme traditionnelle d’activité ! C’est un moyen de réserver pour l’avenir les énergies acquises que de ne pas en violenter trop brusquement les modalités d’exercice. Changer trop vite, c’est aboutir à la misère, c’est quelquefois aboutir à la paresse : telles ou telles régions du monde méditerranéen nous en pourraient fournir des exemples significatifs.

Quelles crises redoutables ont été celles des peuples vivant sur les bords ou au milieu de ce grand lac historique ! Foyer d’efforts magnifiques et féconds, il a été le théâtre de vicissitudes ou de révolutions politiques qui ont toujours entraîné des ruines économiques ; et il a subi les inévitables contre-coups de révolutions économiques qui avaient pour théâtres d’autres lointains domaines de la terre. Mais les méditerranéens n’ont certes pas abdiqué partout, — les Baléares en sont témoins, — leurs vieilles qualités d’endurance ingénieuse ; vertus longuement apprises qui sont le gage de l’avenir réservé à ceux qui subsistent patiens et forts ; et c’est elles qui détiennent aussi dès à présent le secret de l’effort très bienfaisant dépensé sur tant de points du globe par les immigrans émigrés de la Méditerranée.

Non, des races et des peuples ne sont pas finis, qui sont passés maîtres en l’art de bâtir des acropoles et de tailler la pierre, en l’art de greffer et de cultiver l’olivier et la vigne, en l’art de la « culture à sec » et en l’art de l’irrigation. Ces hommes ont des lacunes, mais ils ont aussi des puissances. On ne saurait oublier ni méconnaître, sans griève injustice, tout ce qui revient dans l’histoire de notre civilisation et tout ce qui appartient encore dans l’histoire actuelle du labeur humain à ces diligens manieurs d’arbres, — à ces persévérans ameublisseurs du sol, — à ces savans aménageurs de l’eau, — à ces habiles agenceurs de pierres.

Jean Brunhes.