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plaisent, dans cette pièce même, à nous indiquer la filiation qui relie leur art à celui de Meilhac. Pourquoi, à travers Meilhac, n’auraient-ils pas voulu rejoindre Marivaux ?

Au lieu de cette étude intime, ils se sont contentés de quelques scènes tout extérieures et en spectacle. Primerose, en costume de religieuse, rendent au château de Plélan, pour tel motif charitable qu’il vous plaira d’imaginer. Elle y retrouve tout son monde, sans en excepter le cardinal à qui la curie romaine laisse décidément beaucoup de loisirs. Elle s’enquiert des nouvelles de toute la famille et donne des siennes. Elle est accompagnée d’une sœur, Donatienne, qui a terriblement le bagout et l’accent du Midi. Toutes les histoires et toutes les historiettes du couvent défilent dans le bavardage des deux nonnes : depuis la chapelle jusqu’à la pharmacie, tout y passe. On se croirait au couvent de Vert-Vert tout vibrant d’un babil de Visitandines.

Ce n’est pas ennuyeux. Dirai-je que c’est un peu désobligeant ? Beaucoup de personnes ne voient pas sans quelque malaise la soutane ou le voile sur les planches. Quels que puissent être le respect ou la sympathie avec lesquels on les y a transportés, il est vrai que l’endroit est profane et ne se prête pas à ce genre d’exhibition. C’est beaucoup affaire de circonstances et question de moment. Or les circonstances sont cruelles aux religieuses et le moment n’est pas à la raillerie.

Sœurs de tous ordres, de toute règle, de tout habit, elles étaient plus que le dévouement : la charité. Malades, vieillards, enfans, tous les faibles et tous les souffrans étaient par elles aidés, soulagés, réconfortés. C’était leur unique privilège, et c’est celui qu’on leur enlève. On leur interdit de faire le bien avec une sévérité qu’on n’a pas pour empêcher les coquins de faire le mal. On les expulse de partout, des hôpitaux où elles faisaient descendre sur les affres de l’agonie la douceur des consolations éternelles, et des maisons d’enseignement où leur crime était d’habituer les enfans à attendre d’en haut un peu d’espoir. On disperse celles qui s’étaient réunies pour prier. On supprime ces asiles de recueillement et ces îlots de pénitence. L’air que nous respirons en devient moins pur. Il y a un peu plus de sottise et de brutalité dans le monde. Et devant ces saintes femmes condamnées à l’exil, nous éprouvons tout à la fois de la pitié pour elles qui s’en vont et de la honte pour nous qui les laissons partir... Telles sont les idées qui s’éveillent aussitôt en nous à la vue d’une cornette. Elles ne nous préparent pas à goûter ce débordement