Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/293

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

armée est évidemment chose exceptionnelle, et il n’est pas à prévoir que, dans l’état actuel des nations et des armées européennes, elle puisse se reproduire. Pendant les longues périodes de paix, le commandement des armées vieillit, et c’est à une judicieuse et sévère sélection dans l’avancement du temps de paix qu’il faut demander le choix des généraux aptes au commandement du temps de guerre. D’ailleurs, les résultats de cette sélection peuvent être très satisfaisans, comme on a pu le constater pendant la guerre de 1870 pour l’armée allemande, où les généraux du haut commandement avaient, pour la plupart, tout comme les nôtres, dépassé la soixantaine : sans compter le roi Guillaume commandant en chef qui avait soixante-quatorze ans, et le feld-maréchal de Moltke, chef d’état-major général, qui en avait soixante-dix.

L’empereur Napoléon III a soixante-deux ans, mais il est déprimé, usé par la maladie. Il n’a jamais eu une nature guerrière. Son caractère ne comporte ni décision ni volonté. M. Germain Bapst nous l’avait déjà montré en 1859 à la tête de l’armée d’Italie, et, dans le commandement d’une armée cependant victorieuse, nous n’avons vu chez lui que craintes excessives et hésitations dangereuses. Les généraux sous ses ordres sont tous ou à peu près ses contemporains. Sans grande considération déjà pour les qualités militaires du chef qui les conduit, ils sont douloureusement impressionnés par les désordres d’une mobilisation et d’une concentration improvisées dans les plus détestables conditions. Dès le début, en présence des hésitations, des ordres et contre-ordres qui se succèdent sans interruption, ils perdent toute confiance.

Ces considérations montrent bien déjà une certaine faiblesse du commandement de l’armée française, mais elles ne suffisent pas à établir son infériorité vis-à-vis du commandement de l’armée allemande. Cette infériorité tenait à des causes d’un ordre plus général qu’il me semble intéressant de rechercher. Notre armée n’était pas préparée à la lutte entreprise. Son organisation et son instruction ne répondaient pas aux nécessités de la guerre qu’elle allait faire. Les chefs n’avaient pas la doctrine, la troupe n’avait pas les procédés de combat qui leur auraient permis de lutter à armes égales contre l’armée allemande. Pour bien se rendre compte de cet état de choses, il nous faut remonter un peu plus haut dans l’histoire.