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pas au delà, c’est la seule chose qu’ils auront à faire sur le champ de bataille.

Ces doctrines règnent au XVIIIe siècle dans toutes les armées de l’Europe. En Allemagne, von der Goltz, dans son livre : Rosbach et Iéna, nous montre, d’après les ouvrages militaires de l’époque, les théories auxquelles conduisait cette façon de concevoir la guerre. C’était une sorte de science géométrique où l’on énonçait de véritables théorèmes[1]. À ces amusemens mathématiques, se joignait l’étude du terrain qui devait être lié d’une façon indissoluble avec toute la conduite de la guerre[2] ; il comptait comme un facteur vivant dans le projet de toute opération de guerre.

Disons tout de suite, sauf à en donner ultérieurement les raisons, que ces doctrines du XVIIIe siècle étaient encore celles de l’armée française, lorsqu’elle aborda les champs de bataille en 1870.

En Allemagne au contraire, on a rejeté bien loin ces idées surannées. Dans l’armée prussienne, après 1815, l’organisation et l’instruction changent complètement el sont fondées sur les enseignemens tirés des guerres de la Révolution et de l’Empire. Si bien qu’en 1870, les armées allemandes mettent en œuvre contre nous des principes et des procédés essentiellement français, inventés par les Français et pratiqués victorieusement par eux pendant près de vingt ans.

En France, c’est seulement après la guerre de 1870 que quelques officiers, recherchant les véritables causes de nos désastres, en dehors des raisons contingentes d’infériorité numérique ou du défaut d’organisation, ont montré l’inanité des doctrines qui avaient inspiré chez nous la conduite des opérations et remis en lumière les principes de la grande guerre. Parmi ceux-ci, il faut citer en première ligne mon ami, le général Cardot. J’ai eu la bonne fortune de le rencontrer au lendemain de la guerre, et j’ai eu bien souvent la primeur de ses écrits pleins de verve et éclatans de vérité, dans lesquels, avec son robuste bon sens, il vous mettait en l’ace des réalités

  1. Bulow posait des principes comme celui-ci : « Lorsque la base est devenue suffisamment grande pour que les deux lignes qui en joignent les extrémités à l’objectif fassent un angle de 60°, on peut se porter en avant, mais pas avant. »
  2. A Iéna, Massenbach, chef d’Etat-major de Hohenlohe, disait : « Nous nous laisserons attaquer, mais nous serons battus si nous occupons une position autre que celle d’Ettersberg. »