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de la guerre et tirait, de cette vue nette et impartiale des choses, des règles de conduite admirables de simplicité. C’est lui, on peut le dire, qui a posé les bases de notre haut enseignement militaire en France. À ce point de vue, tout était à faire, et le général Cardot a été le véritable initiateur. Si les jeunes générations trouvent aujourd’hui à l’Ecole de guerre l’exposé des saines doctrines, il faut qu’elles sachent bien que ces doctrines sont d’introduction relativement récente chez nous et qu’elles n’ont pas été admises et professées sans lutte et sans de grands efforts. Les contemporains et amis du général Cardot qui, comme moi, ont assisté à son œuvre, ont le devoir de proclamer hautement la part prépondérante qui lui revient dans la rénovation de l’instruction militaire en France.

Un des premiers il mit en lumière, en analysant et commentant les écrits du général allemand Clausewitz, le nouveau concept de la guerre inauguré brusquement par la Révolution française. Avec elle nous voyons apparaître l’armée nationale. Ce ne sont plus les rois avec des petites armées de mercenaires qui vont faire la guerre, ce sont les peuples avec des armées qui comprennent tous les citoyens de la nation. On relègue bien loin toutes ces formes, toutes ces modalités de la guerre qu’on appelait guerres diplomatiques, guerres dynastiques, guerres de siège, guerres de position. La guerre a pris sa forme pleine, absolue, comme dit Clausewitz, celle qui veut la destruction, le « renversement » de l’adversaire ; celle qui d’entrée de jeu pose ce dilemme : Cède, baisse pavillon, pose les armes, ou je te tue ; celle qui est caractérisée par la lutte implacable de deux volontés, qui se poursuit jusqu’à ce que l’une cède et soit à la discrétion de l’autre.

C’est la guerre moderne, dit le général Cardot, son concept n’est pas nouveau ; il est, si l’on veut, une réminiscence des beaux temps de la barbarie, ou même un retour à l’état sauvage ; mais ce n’en est pas moins la guerre vraie, que les finesses de la politique avaient fait oublier. Il a été ressaisi un beau jour par la Révolution française et lui a assuré ces interminables et prodigieux succès, contre des ennemis qui en furent tout d’abord épouvantés et décontenancés.

Le nouvel état social en était la cause. Il n’y avait plus en France ni roi, ni dynastie, ni gouvernement ; une nation entière ardente et enthousiaste s’était jetée brusquement sur le pouvoir.