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pouvait plus opposer qu’un ressort trop faible : le sentiment d’honneur et de gloire. Or, à ce moment, ses généraux et ses soldats étaient rassasiés d’honneur et de gloire.


Tels étaient les instrumens créés par la Révolution française. Quels sont maintenant les procédés employés par celui que Clausewitz a appelé le dieu de la guerre ? L’énoncé en est fort simple.

En ce qui concerne les manœuvres stratégiques, il n’a qu’un objectif : l’armée ennemie ; qu’un but : la bataille. Mais cette bataille ; il veut la gagner et la rendre aussi profitable que possible ; pour cela son génie s’emploie à conserver ses forces réunies et à aborder l’ennemi sur le point le plus compromettant pour celui-ci, vers ses lignes de communication par exemple, comme à Marengo, Ulm et Iéna. Clausewitz a caractérisé la méthode napoléonienne en ces termes : « Commencer par de grands coups, exploiter ses premiers succès pour frapper de nouveaux coups, placer toujours et sans cesse tout son avoir sur une même carte, jusqu’à ce que la banque saute. »

En tactique, sur le champ de bataille, il était imbu, pénétré de cette idée qu’une armée démoralisée est une armée battue, parce qu’elle n’a plus la force morale nécessaire pour mettre en jeu les forces matérielles dont elle dispose.

Partant de là, Napoléon nous apparaît comme le plus terrible agent de démoralisation qui ait jamais travaillé sur un champ de bataille. « On s’engage partout et on voit, » disait-il, et quand il avait vu, il amoncelait ses masses dans la direction choisie et les jetait sur le point également choisi, avec toute l’impétuosité dont elles étaient capables. « Qu’on déchire ou simplement qu’on soulève le voile qui, dans la bataille napoléonienne, dit encore Clausewitz, recouvre ces longueurs indispensables à une première orientation ou nécessaires à l’arrivée d’un corps voisin, et l’on verra toujours l’attaque décisive des masses entrer en scène avec toute sa furie et ses allures tragiques. »

Nous voilà bien loin de la tactique linéaire et de la bataille parallèle du XVIIIe siècle. Il ne s’agit plus d’engager à la fois toutes ses troupes, préalablement disposées sur une seule ligne, face à la position ennemie ; dans la bataille napoléonienne, les troupes sont disposées en profondeur, grâce à quoi on peut