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là l’épouvante de la défaite. Mais ce qui domine tout, dans ce drame sanglant, c’est l’incurie, l’incapacité ou la perfidie du commandant en chef, Bazaine.

Les chefs sous ses ordres font vaillamment leur devoir ; M. Germain Bapst excelle à nous les montrer pleins d’ardeur, prêts à pousser de l’avant, puis, retenus par un ordre malencontreux, s’arrêtant ou ralentissant leur mouvement. On voit qu’ils ne sont pas dominés, entraînés par la situation qui est sous leurs yeux et dont ils sont les meilleurs juges ; on voit aussi qu’ils n’ont pas, comme dans le parti adverse, la volonté d’atteindre, quand même et en dépit des faiblesses et des incohérences du commandement, le but poursuivi : rejeter les Allemands dans la Moselle et dégager les routes de l’Ouest. Cos vaillans officiers, victimes des doctrines du temps et de leur éducation militaire, méconnaissent les principes de la guerre moderne qui, avec les grandes armées, consacrent la nécessité de la division du travail, et comportent par suite pour les grandes unités une certaine liberté d’agir suivant le but qu’on s’est proposé et dans l’intérêt commun. Ils méconnaissent aussi ce principe, d’ordre essentiellement moral, que tout succès doit être poursuivi sans arrêt et exploité jusqu’au bout, parce que le succès exalte les forces morales de celui qui le remporte et déprime celles de celui qui recule ; si bien que la brèche, une fois faite sur un point, s’élargit bientôt assez pour que toute l’armée y passe.

On a beaucoup écrit sur cette journée du 16 août et non sans raison, car elle apparaît bien comme la plus importante au point de vue de ses conséquences, qui ont été décisives pour les succès ultérieurs des Allemands. Le IIIe corps d’armée allemand renforcé par des détachemens de différentes provenances, dont l’effectif atteignait à peine celui d’une division, a tenu tête aux quatre corps réunis de l’armée française. Cette résistance acharnée, caractérisée d’ailleurs par des attaques incessamment renouvelées, a permis le lendemain à toutes les forces allemandes de s’installer sur les plateaux à l’Ouest de Metz, en nous barrant les routes de la Meuse. En cas d’échec du IIIe corps, c’était toute l’armée allemande rejetée dans la vallée de la Moselle, c’était la liberté de mouvement assurée à l’armée française, au lieu de son investissement et de sa capitulation dans Metz. Les Allemands peuvent tresser des couronnes