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dans le récit qu’il a donné, ici même, de la bataille d’Iéna, nous montre Suchet très affairé avec sa division à l’attaque d’un bois, lorsqu’il voit venir à lui un fort parti de Saxons menaçant sa gauche. Loin d’arrêter sa première attaque, il la renforce et l’étend jusqu’à y comprendre le nouvel ennemi qui se présente et il bouscule le tout.


J’ai voulu montrer, dans les considérations qui précèdent, les véritables causes, à mon avis, de notre infériorité en 1870. Elles résident dans ce fait que notre haut commandement a appliqué à la guerre moderne, celle dont le but est l’anéantissement des forces ennemies et qui se fait avec des armées à gros effectifs, des doctrines et des procédés qui ne s’appliquaient au XVIIIe siècle qu’à des guerres ayant un but restreint et exécutées par des armées à effectifs relativement faibles.

Aujourd’hui ces effectifs seraient plus considérables encore qu’en 1870 et la conduite des armées exigera une décentralisation d’autant plus large. Sur des théâtres d’opérations d’une étendue comme celle qu’il faut prévoir, le général en chef ne peut donner que des directives. Qu’il fasse clairement connaître sa pensée, qu’il indique nettement le but qu’il poursuit, et qu’en conséquence il donne à chaque grande unité la tâche qui lui incombe dans l’œuvre commune, et il aura rempli son rôle qui ne peut et ne doit guère aller au delà

Il faut alors aux chefs en sous-ordre l’initiative pour agir selon la pensée du chef, en raison des circonstances qui se révèlent et que le plus souvent nul ne peut prévoir. Cette initiative doit s’étendre, dans la sphère d’action de chacun, à tous les échelons de la hiérarchie. N’avoir pas d’ordres, n’est jamais, pour aucun chef, une excuse à l’inaction. A lui d’en chercher, à lui de se rendre compte de la situation pour agir en vue du but commun.

Mais cette initiative n’est pas innée dans le cœur de l’homme. Tout au contraire, à part quelques natures d’élite, la tendance naturelle est bien plutôt une certaine paresse d’esprit et la crainte des responsabilités qui conduit à l’inaction. L’initiative est une plante qu’il faut cultiver avec soin si l’on veut en recueillir des fruits, et cela dès le début de la carrière de l’officier. Si, pendant toute sa vie, il a été soumis à un régime d’obéissance passive, si, dans tous les exercices d’instruction, il n’a jamais eu à