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d’orage sur la montagne, page brillante ou qui veut l’être, mais emphatique, avouons-le, et factice au plus haut degré, avec quelques traits de réel ; et, encore, un morceau de poésie en prose, sur les nuages, interlude presque musical, fantaisie colorée, gracieuse, légère, qu’il est permis de préférer à la fameuse effusion lyrique de l’Allemand Ferdinand Freiligrath.

Mais ce qui apparaît ici, plus encore que dans les Poèmes, c’est à quel point le rôle de la Nature reste subordonné aux exigences du récit. Elle n’intervient qu’en qualité d’auxiliaire de la pensée. Pourquoi cette méditation sur la destinée des nuages ? Pour faire parcourir au lecteur la route qu’ils suivent, pour le ramener avec eux, de ces Pyrénées où ils s’assemblent et au pied desquelles Cinq-Mars est retenu, jusqu’au palais du Louvre où la princesse Marie de Gonzague, assise aux pieds de la reine de France, soupire au souvenir de son fiancé ténébreux. On le voit, l’odelette exquise est, à vrai dire, une transition.

Rien de plus habile, d’ailleurs, que certaines vignettes, tracées comme à l’eau-forte ou à la pointe du burin, et laissées au travers du texte avec cette simplicité indifférente et souveraine où se dénotaient autrefois les écrivains de race. C’est, par exemple, la nuit d’été méridionale qui descend sur le camp du roi dans les plaines du Roussillon et dont on pourrait croire qu’elle est « un jour plus doux » faisant son apparition ; car la lune « sort des Pyrénées dans toute sa splendeur. » C’est encore l’acheminement en bateau vers Lyon, par la voie du Rhône. Le cardinal presque mourant traîne à la remorque, avec de Thou, coupable de fidélité à l’amitié et de silence, M. le Grand, Henri d’Effiat de Cinq-Mais, l’audacieux conspirateur dont il a, non sans peine, arraché au roi la condamnation et que, pour plus de sûreté, il a voulu mener lui-même à l’échafaud : « Souvent le soir, lorsque la chaleur était passée, les deux nacelles étaient dépouillées de leur tente, et l’on voyait dans l’une Richelieu pâle et décharné assis sur la poupe ; dans celle qui suivait, les deux jeunes prisonniers, debout, le front calme, appuyés l’un sur l’autre, et regardant s’écouler les flots rapides du fleuve. » Il faut avoir été saoulé du breuvage fade et suspect répandu, à profusion, par les torrens de prose descriptive de tant d’écrivains qui s’appelèrent tour à tour romantiques ou réalistes, pour savourer, comme il convient, cette eau vive et cet art discret.