Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/340

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

minuit, écrivant sous ma lampe dont la roue et les ressorts sont le seul bruit de ma solitude, la tristesse remonte à mon cœur et le serre plus qu’il ne faudrait. » Ces accidens imprévus, qui le retiennent au printemps de 1832, le rivent sur place à l’entrée de l’hiver. « Les malles étaient faites, — écrit-il le 24 décembre, -— et il ne s’agissait que de monter en voiture, quand Lydia est tombée malade. J’ai repris mon collier, ou plutôt on l’a rattaché à la chaîne de la campagne, car, pour mon collier, il ne me quitte jamais. »

Quand il regarde la Nature, avec de telles ombres sur l’esprit, que pourraient lui dire de joyeux ou de tendre les bois, les prés, les sources, les bruyères du Maine-Giraud ?

L’été est brûlant, implacable. On ne secoue la torpeur dont on est accablé que lorsqu’il arrive de la mer « un bel orage. » Les impressions de juillet, de septembre même, tiennent en deux mois, et ce sont moins les impressions d’Alfred de Vigny que celles de la comtesse : « Elle est heureuse des riches moissons qui viennent de se faire et des plus riches vendanges qui s’annoncent : ce lui est un spectacle et un baume vivifiant. » Il nous donne de l’hiver aux champs une idée moins sommaire et il retrouve ici le don d’évocation du poète ou du peintre : « Ce ne sont point les travaux de la terre qui occupent ces mois de décembre et de janvier. C’est l’époque où les bœufs se reposent et où les hommes veillent autour d’une lampe de forme romaine, et, sans le savoir, composent, avec les femmes qui filent, des tableaux à la Rembrandt. »

Ne comptons pas sur lui pour courir après les images et pour les prendre à la pipée, comme fait, du matin au soir, plus d’un jeune ou vieil oiseleur. Une fois, par hasard, pour attirer à lui le Parisien Busoni qu’une occasion peut amener à Angoulême, il en cueille une à portée de la main ; elle est naturelle, éclairée, avenante comme un sourire : « Là vous me trouverez, je vous mets en voiture à côté de moi, et, en trois heures, nous serons, comme disent nos bons paysans antiques, au Maine, qui, dans ce moment, semble assis dans un bouquet. »

Mais quoi ! Il est de ceux pour qui « les jardins parlent peu, » comme avait dit un jour, sans le penser, son cher La Fontaine : « Mes arbres, — écrit-il à sa cousine, la vicomtesse du Plessis, — ne me disent rien et sont bêtes comme les vôtres. » Il riposte à un autre ami qui le croit en humeur de consentir à