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de la convention est observé au pied de la lettre. Aussi est-ce le supplice de Tantale de frôler ces édifices sans pouvoir jeter à l’intérieur même un regard. Que de fois, je me suis surpris errant aux alentours de la Grande-Mosquée qui se dérobe pour ainsi dire au milieu des souks ! Du toit de Dar-el-Bey, j’avais caressé des yeux ses coupoles aplaties, ses terrasses de neige qui étincelaient au soleil. Je me figurais sa forêt de colonnes, ses nefs qu’on dit plus somptueuses que celles de Kairouan. Au fond de ce sanctuaire que nul pied de roumi n’a profané, le fils soumis de Mahomet doit goûter une volupté sans mélange à réciter les longues prières, à prolonger les prosternations sans provoquer de sourire. Il peut adjurer le Dieu unique de ressusciter les gloires passées et de rendre enfin au Croissant l’empire que la Croix lui a momentanément ravi.


Carthage.

Ce que les voyageurs épris d’histoire et de poésie demandent d’abord à Tunis, c’est Carthage. Que reste-t-il de l’ancienne reine de la mer, de la cité qui mit Rome à deux doigts de sa perte ? Va-t-on trouver sur le rivage de la Méditerranée quelque édifice prestigieux comme le Parthénon ou le Colisée ? Pourra-t-on rêver, — si on est enclin à la rêverie, — sur les degrés d’un temple ou le fût d’une colonne brisée ?

Quel régal ce serait pour un archéologue de rencontrer les débris même mutilés de la ville punique !… Il faut en faire son deuil. Les monumens phéniciens ont sombré dans la tourmente de l’an 146. L’incendie, puis la démolition méthodique ont eu raison de la patrie d’Hannibal… et de Salammbô : il n’en est pas resté pierre sur pierre.

La seconde Carthage, celle qu’édifièrent les Gracques et qui donna le jour à saint Cyprien, n’est guère plus visible que la première. Les Vandales, en 439 après Jésus-Christ, lui infligèrent une injure que les Byzantins ne réparèrent qu’en partie. Les Arabes d’Abdullah-ibn-Saïd lui portèrent le coup de grâce, au commencement du IXe siècle. Ce n’étaient pourtant pas des destructeurs systématiques que ces Sémites. Aussi est-il plus juste de dire qu’ils la laissèrent mourir de sa belle mort. Mais la destinée s’acharna sur le cadavre. La vieille métropole se transforma en une carrière d’où les conquérans tirèrent pendant plusieurs siècles des pierres pour leurs maisons et des marbres