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pour leurs temples. Tunis s’est élevée aux dépens de Carthage. Il n’est pas jusqu’à la grande mosquée de Kairouan qui ne puisse montrer des colonnes et des sculptures arrachées aux édifices carthaginois.

Ainsi, glorieux ou tragique, le passé est mort tout entier ; il n’en reste aucun vestige à la surface du sol. Le rivage lui-même a subi des métamorphoses depuis l’antiquité. Au lieu de choisir Carthage pour y constituer la clé stratégique de ces régions, c’est à Bizerte que la France s’est installée. Ce qui n’a pas changé, c’est la couleur du paysage, l’atmosphère, le golfe pacifique, ce sont les lignes gracieuses et pures des montagnes lointaines. On éprouve un charme inexprimable à parcourir les collines, à visiter la Marsa, rendez-vous estival des riches Tunisiens, Sidi-bou-Saïd, ce promontoire d’où le regard plonge dans l’azur de la Méditerranée.

Ces spectacles n’ont pas le privilège de rassasier l’appétit des archéologues, et c’est tant mieux. La direction du service des antiquités et les missionnaires d’Afrique sont allés chercher sous terre, pioches en main, les reliques des deux Carthages. L’ancien directeur des services archéologiques, M. Gauckler, avec des ressources modestes, est parvenu à opérer de véritables résurrections. Il a mis au jour les substructions d’édifices païens et chrétiens, notamment les assises imposantes de l’Odéon réduit en cendres par Genséric ; il a recueilli des statues et des fragmens de statues romaines d’un beau style. Les tombeaux puniques lui ont livré leur secret ; il en a relevé le plan, il y a trouvé toute une série de poteries, de monnaies, de bijoux, d’objets divers en or et en argent. Il suffit de les examiner pour suivre à travers les siècles l’évolution de l’art carthaginois. Au VIIe siècle avant Jésus-Christ, cet art s’en tient aux formules de la vieille Égypte, tandis qu’à l’époque des guerres puniques, c’est à la Grèce qu’il emprunte en partie son idéal. Navigateurs audacieux, marchands experts, politiques ingénieux, ces Sémites n’ont jamais été, en matière artistique, que des imitateurs ; l’originalité créatrice leur a toujours fait défaut.

Le P. Delattre, de la Congrégation des missionnaires d’Afrique ou Pères Blancs, a réuni, de son côté, dans l’enceinte du musée Lavigerie, quelques pièces hors ligne tirées des nécropoles de Carthage, les sarcophages « anthropoïdes » ainsi nommés parce que la figure du mort est représentée en haut