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que son toit, — c’est le cas de le dire, — n’était pas à l’abri de la médisance.

A mesure que nous nous rapprochons du centre de la ville, les boutiques se multiplient. Par les portes largement ouvertes, on aperçoit les artisans travailler, assis sur leurs talons. Il semble que leur contact avec la rue stimule leur activité. Souvent, ils accomplissent leur labeur entourés d’amis et de voisins venus pour converser. La besogne n’en va peut-être pas plus vite, mais on l’accomplit sans s’en rendre compte, et ainsi va l’Orient.

Les souks de Kairouan sont misérables et quasi déserts si on les compare à ceux de Tunis. Les échoppes s’ouvrent sur des allées qui ressemblent fort à celles de la capitale avec moins de bijoux et plus d’objets de consommation. L’animation ne leur fait pourtant pas défaut.

La principale artère s’appelle rue Saussier. Ce nom glorieux produit ici, quand on le prononce, une impression bizarre, en rappelant la douce manie qui dirige les gens de la mère patrie. Il paraît que le besoin se faisait sentir de remplacer le nom arabe de cette voie par un nom bien français. Cette substitution consacrait, dans l’esprit de ceux qui l’opéraient, la pérennité de la conquête. La rue Saussier n’en regorge pas moins d’indigènes, au milieu desquels quelques Européens sont comme noyés. C’est là qu’on peut observer de près le Tunisien, cet être éminemment hybride et sociable qui adore bavarder sur le pas des portes, dans la rue, partout. On voit des groupes qui se forment devant une boutique et qui babillent pendant des heures, sans se lasser. On m’affirme que l’Arabe fait quelquefois plusieurs lieues à seule lin de converser avec un ami !

Dans ce milieu, des légendes sans nombre ont germé comme des fleurs sous l’action d’un soleil bienfaisant. Quelles qu’en soient l’origine et l’invraisemblance, la crédulité populaire les accueille avec faveur. Les moins banales se rapportent à la fondation de la ville et des principales mosquées, à l’histoire du pays.

.l’en veux citer une entre mille. Il existe à Kairouan un puits appelé Barruta ; il y en a un autre près de La Mecque, à Zemzem ; tous deux sont, à un degré différent, célèbres parmi les Musulmans. Or, on raconte qu’un habitant de Kairouan partit une fois pour accomplir le pèlerinage de La Mecque : après y avoir fait ses dévotions, il se rendit à Zemzem ; mais, en se penchant sur le puits, il laissa choir un plat dans le double fond