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s’était mariée avant d’avoir seize ans, avec un moricaud d’une laideur extraordinaire, non pas d’une de ces laideurs timides qui semblent des fléchissemens du type et des diminutions de vie, mais d’une de ces laideurs exubérantes et fougueuses qui étonnent plus qu’elles n’éloignent et parfois attirent par ce qu’elles semblent promettre de furieuse étrangeté. Epaté, mafflu, lippu, poilu, crépu, écarquillé, roulant des yeux blancs dans un masque de nègre et une toison de yack, François Gonzague eût figuré, au naturel, l’homme-chien à condition que l’on supposât qu’il y a des hommes-chiens nègres, et les touristes mal informés qui visitent les musées d’Italie, et savent confusément qu’il y eut, à cette époque, un Ludovic le More, ne manquent pas, croyant que « more » veut, ici, dire « africain, » de mettre ce nom sur toutes les figures qu’ils voient de François Gonzague.

Il n’était pourtant nègre d’aucune sorte, étant fils et petit-fils d’une Marguerite de Bavière et d’une Barbara de Brandebourg ; mais qui peut pénétrer les secrets de l’hérédité ? On trouverait difficilement dans l’histoire un masque aussi féroce. Nous pouvons à peine en soupçonner quelque chose quand nous regardons au Louvre, au milieu de la grande galerie du bord de l’eau, ce chevalier tout armé, à genoux dans le grand tableau de Mantegna, la Vierge de la Victoire. Car voilà le mari d’Isabelle d’Este : il est même fort ressemblant, mais vu sous un angle adouci, idéalisé, saisi dans une minute de ravissement et d’extase. Pour être plus sûr de sa mine, il faut regarder ses médailles et surtout un certain grand buste de terre cuite, peut-être de Sperandio, qui se trouve à Mantoue, et qu’on cache soigneusement au rez-de-chaussée du Museo Patrio, dans une petite salle de débarras, recevant le jour par la place Dante. Cette terre cuite, qui est un chef-d’œuvre, et dont l’extraordinaire ressemblance nous est certifiée par l’extraordinaire vie, ressemble plus à un masque japonais fabriqué pour terrifier l’ennemi qu’à un produit naturel de la race blanche. Emergé de son armure, le marquis Gonzague a cet air férocement joyeux qu’on lui suppose à la veille de Fornoue, le jour où il paya dix ducats la première tête française coupée par ses stradiots, et baisa sur la bouche l’homme qui la lui apportait.

Tel qu’il était, Isabelle d’Este l’aima et l’aima seul. Elle aimait aussi les idées, et il ne semble pas que son mari en