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mettre à l’abri de tout conflit relatif aux coupes, vis-à-vis de leurs ouvriers comme des propriétaires, en acquérant le sol avec le bois qu’il porte ; ils coupent à blanc-étoc tous les arbres de la forêt, et revendent ensuite le sol nu ; l’acquéreur suivant fait porter à ce sol le genre de culture qui lui convient. Il y a là une cause nouvelle de déboisement, qui devient de plus en plus fréquente avec l’emploi pour les coupes d’un outillage mécanique perfectionné, dont les exploitans cherchent à retirer le maximum d’utilisation en abattant tout. Au lieu de remédier à la crise des forêts par la conversion des taillis en futaie et par le reboisement des terres incultes qui occupent encore en France plus de 6 millions d’hectares, la spéculation au jour le jour l’aggrave sans cesse en appauvrissant les futaies qu’elle transforme en taillis, appelés eux-mêmes à disparaître, quand elle n’y supprime pas immédiatement l’état boisé. Malgré la création récente par l’Etat de 160 000 hectares de forêts en montagne, on coupe chaque année beaucoup plus de bois qu’il n’en pousse, caractéristique indéniable d’un déboisement qui menace toutes les sources de la richesse publique. Le « sabotage » des forêts n’est pas moins criminel que celui des voies ferrées ; l’homme s’était longtemps passé de chemins de fer, mais les régions où il n’a pas su conserver l’arbre sont transformées en déserts.

Tous les méfaits du déboisement ont été passés en revue depuis l’inondation de Paris, et l’ensemble d’une politique forestière destinée à y remédier a été développé dans la Défense forestière et pastorale[1], sans que nous ayons à y revenir dans cette étude, limitée aux desiderata de la législation et de la jurisprudence en matière forestière.

Le premier remède au déboisement que l’on ait cherché dans les milieux administratifs a été la réglementation des coupes : c’était celui qu’avait intronisé Colbert, qui est depuis longtemps tombé en désuétude, et qui a disparu de la loi française en 1827. Il semble n’y avoir nul motif de replacer le char dans la voie d’où il est sorti tout seul, tant que la législation et la jurisprudence resteront coalisées contre la création et la conservation des forêts privées, qui forment les deux tiers des richesses forestières de la France.

  1. Paul Descombes, la Défense forestière et pastorale, Paris, 1911, Gauthier Villars.