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années. » Tout le chapitre consacré au cardinal Manning est d’ailleurs rempli de détails vivans, et une émotion s’y devine qui n’apparaît que bien rarement dans le reste des deux volumes. Voici de quelle façon M. Harrison résume son opinion du caractère et de l’œuvre professionnelle du cardinal :


Le cardinal Manning a été l’un des hommes les plus pittoresques et les plus multiformes de son temps. Dans sa personne, un saint du moyen âge, tel que les représentait le Pérugin ; dans ses manières, tour à tour gracieux, ascétique, imposant, et simple ; dans son esprit, subtil, ingénieux, et d’une culture immense ; dans ses principes, un ardent apôtre de la tempérance, de la discipline ecclésiastique, de la sympathie sociale, et des réformes populaires... Je doute que, depuis sa mort, l’Église catholique d’Angleterre soit restée en contact aussi intime avec le monde libéral et avec les aspirations du peuple, indépendamment de toute religion particulière. J’ai toujours pensé que la force, et peut-être aussi la faiblesse, du cardinal Manning lui sont venues de ce qu’il n’a pas cessé d’apporter jusqu’au bout, en matière de politique, l’ouverture d’esprit d’un prêtre de l’Église où il était né, et au service de laquelle il avait vécu durant la première moitié de sa vie.


Ce n’était pourtant pas, à coup sûr, sous l’effet de sa sympathie pour l’Église anglicane que le cardinal Manning se refusait à appuyer de sa signature toute démarche tentée en faveur d’un « désétablissement » de cette Église, ou, comme nous disons, de sa « séparation avec l’État. « Mais le vénérable vieillard attestait là encore le haut et solide bon sens qu’admirait chez lui M, Harrison. Celui-ci lui affirmant, un jour, que le « désétablissement » de l’Église anglicane amènerait aussitôt des millions de recrues à l’Église romaine : « Oui, lui répondit le cardinal, nous gagnerions ces millions d’âmes : mais vous, libres penseurs, agnostiques, et positivistes, c’est vous qui gagneriez le reste ! Le principe d’une Église nationale est chose trop sacrée pour que j’ose y toucher. »


T. DE WYZEWA.