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dont les naïfs escomptaient cependant le succès de curiosité, honorable pour notre amour-propre national.

Dès sept heures du matin, les troupes se rangent sur le plateau. Faute d’artilleurs exercés, les canons du rempart n’avaient pas salué, par les salves traditionnelles, l’aurore du grand jour. A la kasbah, sur la tour du corps de garde, un beau mât fignolé avec amour par les soldats du génie, attend vainement le pavillon que, après de longues réflexions, la crainte des difficultés diplomatiques empoche de hisser ; mais, dans le bivouac des marsouins, un drapeau gigantesque, dont un peuplier du Sultan a fourni la hampe, est hissé au milieu des acclamations qui accompagnent le cérémonial dû « aux couleurs. » Le camp des mercantis est copieusement pavoisé de petits carrés tricolores qui papillotent au soleil. Vers la ville face aux jardins impériaux, une mince ligne de baïonnettes immobiles est passée en revue par le commandant d’armes, fatigué, qui l’inspecte au pas relevé d’un cheval fringant. Et l’unique spectateur, pauvre vieillard berbère assis sur son âne, contemple avec stupéfaction le défilé d’une section hors rang, de trois compagnies, d’une section de mitrailleuses, dont cinq clairons hors d’haleine scandent la marche. Par sa simplicité outrée, la cérémonie ne différait guère d’une séance d’évolutions sur un terrain de manœuvres, et cependant les soldats n’avaient jamais eu, dans les plus enthousiastes Longchamp, une allure plus correcte, une attitude plus fière. On sentait que ce 14 juillet, dans la capitale du Maroc, tiendrait une grande place dans leurs souvenirs assagis.

A dix heures, les officiers de la garnison pénètrent dans un logis situé proche de l’hôpital. C’est le Consulat de France. Les nouveaux arrivans, rustiques sous leurs uniformes fatigués, sont accueillis avec une exquise courtoisie par le Consul, qui échange avec leur chef les congratulations d’usage. Les discours se croisent, récités en même temps par les deux interlocuteurs, dont l’un a l’aisance de « la Carrière, » et l’autre craint d’oublier trop vite une leçon difficilement apprise : les mots « France, glorieuse armée, sentimens républicains » percent comme des fusées dans la grisaille des voix discrètes et le bourdonnement des visiteurs. Rangés dans la galerie qu’un vélum tricolore emplit de lumière chaude, le grand rabbin, les princes des prêtres de la colonie juive, drapés dans leurs costumes d’Ancien