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LE CHÂTEAU DE LA MOTTE-FEUILLY EN BERRY.

portée dans sa somptueuse et confortable litière. Son panégyriste, le Père Hilarion de la Caste ou de Coste, nous dit « qu’elle nourrit et éleva sa fille avec un grand soin et diligence digne d’une bonne et prudente mère. » Après la mort de Jeanne de Valois, elle continua à s’occuper avec une extrême diligence de l’œuvre de l’Annonciade de Bourges qui avait été si chère au cœur de la défunte reine et à l’avancement de laquelle, dit encore le Père Hilarion, elle était grandement affectionnée, « étant parfaite imitatrice de la bienheureuse Jeanne ! »

La mort de César, arrivée moins de trois années après l’établissement de Charlotte dans cette solitaire résidence, lui porta un coup terrible et transforma encore sa vie. Depuis sept ans séparée de lui, elle avait toujours espéré le revoir. Elle résolut alors, malgré ses vingt-cinq ans à peine, de vivre dans le deuil et dans la retraite les plus sévères, Elle fit fermer et démeubler à la Motte-Feuilly tous les appartemens de réception et n’y remit plus jamais les pieds, se réservant uniquement pour elle et sa fille les pièces indispensables à leur existence, qu’elle fit entièrement draper de tentures noires. Suivant l’usage du temps, son mobilier même devint funèbre. Son lit fut tendu de damas noir, celui de sa fille de serge noire. De même les sièges, les coffres, les bahuts furent cachés sous des housses noires portant ses armes. Ses robes fourrées d’hermine et de martre furent constamment de drap noir. Même « la selle de sa haquenée fut couverte de velours noir avec tout le harnais étant aussi de velours noir. »

Il ne faut pas croire que cette excessive austérité d’existence fut naturelle à Charlotte d’Albret. C’était une très grande dame qui, même dans cette lointaine retraite du Berry, avait vécu jusque-là dans le plus grand luxe. M. Bonnaffé, qui a publié en 1878 l’Inventaire de sa succession, rédigé après sa mort en présence de sa fille par les magistrats royaux, Inventaire retrouvé dans les Archives si riches du duc de La Trémoïlle, nous a fourni par ce document les plus précieux renseignemens sur la vie matérielle que menait cette princesse à la Molle-Feuilly avant le grand deuil qui l’accabla. Sa maison était montée sur le plus grand pied : six écuyers, Claude de la Perrière, seigneur de Billy, Jehan de Moussy, seigneur de la Motte-Fleury, Rémond de Grossolles, seigneur d’Asques, Jehan de Mareuil, seigneur de Montaboutin, Pierre de Regnard, seigneur de