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une force de la nature. Si tous ses anciens amis ne le suivent pas dans une entreprise aussi hasardeuse que la sienne, il en trouvera d’autres et il lui importe peu de savoir d’où ils viennent ; il les réconciliera en lui. Il aura même les femmes, car il revendique pour elles le droit de vote ! Et cette agitation, à supposer qu’elle s’arrête là, durera au moins jusqu’au 5 novembre, date de l’élection finale du président de la République. Pendant tout ce temps, on versera à flots l’argent et les gros mots.

Au mois de février suivant, nous le répétons, on élira en France un nouveau président de la République. Dieu nous garde du sentiment pharisien qui nous ferait dire ou croire que nous valons mieux que les Américains ! Mais nous mettrons avec confiance en parallèle les deux systèmes électoraux et sans doute on cessera de nous donner comme un modèle celui des États-Unis.


Nous ne pouvons pas terminer cette chronique sans dire un mot de la perte que la Revue a faite en M. Anatole Leroy-Beaulieu, qui était un de ses rédacteurs les plus anciens et les plus fidèles. Une cruelle maladie l’a enlevé à l’affection de sa famille et de ses amis au moment où il avait acquis par les plus remarquables travaux la plénitude de son talent et de son autorité. Il était encore très jeune lorsqu’il a entrepris et mené à bon terme son œuvre capitale, celle à laquelle son nom restera attaché, son grand livre sur la Russie. L’ouvrage n’a pas tardé à devenir classique : il nous a fait connaître l’empire des tsars dans son organisation administrative, politique et sociale avant que Eugène-Melchior de Vogüé nous ait fait pénétrer dans le secret de son âme romanesque et mystique, à la pensée profonde, aux désirs infinis. Les deux œuvres se complètent admirablement : l’une appelait l’autre et ne saurait guère s’en passer. Depuis lors, M. Anatole Leroy-Beaulieu s’est livré à des travaux variés, qui tous se rattachent aux préoccupations de l’ordre le plus élevé. Ardent patriote, il n’a jamais cru que, pour mieux connaître et mieux aimer la France, il fallait l’abstraire en quelque sorte du reste du monde : loin de là, il a sans cesse étudié l’étranger avec une sympathie qui venait à la fois de son intelligence et de son cœur, car il recherchait partout les plus nobles causes, celle des nationalités affligées et opprimées, pour entretenir chez elles des espérances de justice et de liberté. Les questions religieuses l’attiraient ; il les connaissait profondément et, là encore, tout son effort a consisté à faire prévaloir, par le respect des consciences, des idées de tolérance et de liberté. Si ce mot de liberté