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Puis s’élevant au-dessus des considérations personnelles, ramassant pour sa péroraison tous les griefs et toutes les appréhensions des libéraux, l’auteur de la Lettre sur l’Histoire de France terminait par cette phrase d’une superbe envolée : « Vous qui traitez avec l’arrogance de la bonne fortune ces races antiques qui ont régné longtemps sur une nation généreuse…, vous qui jouissez du fruit accumulé de tant de travaux, de tant de sagesse et de tant de gloire, sachez bien que, si vous ne sortez pas des mauvaises voies où vous êtes si profondément engagés, ce n’est pas aux Bourbons, ni aux d’Orléans auxquels on n’a jamais pu adresser un tel reproche ; c’est à vous et aux vôtres qu’on pourrait alors renvoyer les paroles de votre oncle au Directoire : Qu’avez-vous fait de la France ? » Cette véhémente apostrophe ne résonne-t-elle pas comme l’annonce prophétique de la tourmente qui devait emporter le second Empire ?

Qu’on juge de l’effet produit par un tel langage au milieu d’un pays condamné au silence ? Les opposans ne cachaient pas leur joie. Dans les conversations particulières, on répétait quelques-uns des traits de la brochure, on faisait des gorges chaudes aux dépens du téméraire qui venait de s’attirer cette foudroyante réplique. L’Empereur s’était résigné avec philosophie en disant à ses ministres : « L’affaire regarde surtout mon cousin. » Mais les ministres devaient veiller au salut de l’Empire. Le ministre de l’Intérieur, Persigny, pour se dédommager de n’avoir pu empocher l’entrée de la brochure, voulut du moins en interdire la circulation. Les journaux furent invités à n’en donner ni extraits ni commentaires. Une note officielle annonçait simplement que la Lettre sur l’Histoire de France avait été saisie et l’éditeur poursuivi devant les tribunaux. Le prince Napoléon fit un geste élégant pour arrêter les poursuites et sauver du moins les apparences en ce qui le concernait. Tentative inutile ! Le gouvernement avait décidé de poursuivre, on poursuivit. Le 4 mai, l’imprimeur Beau et l’éditeur Dumineray comparaissaient devant la sixième chambre du tribunal correctionnel de la Seine pour y répondre du délit d’excitation à la haine et au mépris du gouvernement.

Le procureur impérial partagea son réquisitoire en deux parties, une charge à fond contre le gouvernement de Juillet et la glorification du second Empire. Dufaure lui répondit par une de ces argumentations serrées qui étaient sa manière propre et