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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/302

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avons entendu les gens timorés qui composent une partie considérable du public français se plaindre de ses excès et lui attribuer une influence funeste sur l’état des esprits ! Lorsque j’entends ces lamentations de la race moutonnière, je suis toujours tenté de leur répondre : Hommes de peu de courage, vous n’avez pas passé comme nous par l’épreuve du silence, vous ne savez pas ce qu’il en coûte de ne rien connaître des affaires publiques, de vivre dans la nuit, de ne pas pouvoir discuter une seule fois les actes du gouvernement et de n’apprendre les résolutions qui engagent l’avenir du pays qu’au moment où elles sont déjà prises. Tout plutôt que l’impossibilité pour les citoyens de défendre les intérêts de la nation, que la nécessité de subir le joug d’une volonté solitaire et silencieuse.

On ne se rend pas compte aujourd’hui du réconfort qu’apportaient aux libéraux restés en France les paroles du Duc d’Aumale, même interceptées en partie, même mutilées par la police. En face du snobisme et de la peur qui régnaient dans tant de milieux, il se trouvait enfin un homme qui osait réclamer la liberté de la presse, et cet homme était un prince, un de ceux qui sont le plus exposés, par le rang qu’ils occupent, à attirer l’attention et à subir les critiques des journaux. L’exemple venant de si haut, appuyé sur des considérations si fortes, nous rendait du courage pour supporter le régime douloureux que nous subissions. L’argumentation du Prince était irréfutable, parce qu’elle n’exagérait ni ne dissimulait rien. Il ne présentait pas la presse comme une vestale ou comme une sainte. Il reconnaissait qu’elle était capable de commettre des erreurs, de faire quelquefois du mal, d’égarer l’opinion publique sur certaines choses et contre certains hommes. Mais qu’y a-t-il donc de parfait en ce monde ? Après avoir comparé les avantages et les inconvéniens de la liberté, il concluait en faveur de la liberté par ces réflexions décisives :

« La presse agit sur le pouvoir exécutif tout à la fois comme un aiguillon et comme un frein. Elle suspend bien des résolutions irréfléchies, elle signale bien des choses excellentes à faire, qu’un seul homme ne saurait toujours apercevoir sans le secours de ses cent voix. » À l’appui de son opinion il citait son propre exemple. Pendant qu’il avait servi son pays dans des fonctions publiques, rien ne lui donnait un sentiment plus vif de ses devoirs, rien ne lui imposait avec plus d’autorité l’obligation