Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/674

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Poméranie. Convaincue qu’il lui serait alors facile de se réunir fréquemment à lui, elle ne voulait pas en être empêchée. Elle déploya donc toute son habileté pour être dispensée d’accompagner la princesse et manœuvra si bien qu’elle atteignit son but. La princesse s’éloigna en la laissant à Stockholm.

Quand elle n’était pas de service à la Cour, elle vivait auprès de sa mère déjà très âgée. Sa sœur était mariée ; ses deux frères, officiers l’un et l’autre, étant souvent absens, l’existence de Madeleine eût été monotone autant que reposante si, d’une part, elle n’eût continuera fréquenter la Cour, à subir l’empire des devoirs mondains que lui créaient ses nombreuses relations et si, d’autre part, l’éloignement d’Armfeldt n’eût entretenu en elle une mélancolie douloureuse. Mais c’était une âme agitée en qui les espoirs et les craintes prenaient une forme exaltée. Tel est, comme on va le voir, le caractère de sa correspondance avec son amant. Cette exaltation naturelle s’accrut encore lorsqu’elle apprit que le Régent, au mépris de ses promesses, avait nommé Armfeldt ministre de Suède auprès des cours italiennes.

Nous ne possédons pas les lettres qu’échangèrent les amans aussitôt après leur séparation. Celles d’Armfeldt, nous l’avons dit, ont été détruites ; il n’en reste que de rares fragmens, souvent peu compréhensibles. Quant aux lettres de Madeleine, c’est seulement à partir du mois de janvier 1793, que s’ouvre la série de celles qui sont sous nos yeux. Elles suffisent cependant pour nous laisser deviner ce qu’étaient les autres. Dans les réponses de la maîtresse, dans les nouvelles qu’elles contiennent, dans l’ardeur qu’elles révèlent, dans les cris d’amour qui les remplissent, dans les lamentations et les reproches qui trop souvent viennent les assombrir, on voit, comme dans un miroir, la mobilité de l’amant, la multiplicité de ses projets souvent contradictoires, ses jalousies, ses tromperies, son amour et l’éloquence persuasive avec laquelle il l’exprime, même quand il est infidèle. Les lettres de Mlle de Rudenschold constituent donc à la fois un document historique, un tableau de la Cour de Suède à cette époque et celui des égaremens d’une passion qui brûlait deux cœurs et ne s’éteignit que lorsque des événemens tragiques vinrent la foudroyer.

Dans les dernières semaines de l’année 1792, Madeleine recevait de son amant le fameux plan de révolution qu’on a lu dans la première partie de ce récit. Il s’agissait, on s’en souvient, de