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VII

La création d’une année noire dans l’Afrique du Nord rencontre donc, pour le moment, de nombreuses difficultés. La première et la plus redoutable est la pénurie des ressources offertes par le recrutement. Nos tirailleurs sont d’excellens soldats, pour la plupart, et sauront, le cas échéant, renouveler tous les exploits de leurs devanciers. Leur livre d’or, si riche en exemples de bravoure, leur réserve de belles pages si toutefois on n’accepte dans nos rangs que les indigènes vigoureux des races de l’intérieur. Certes, le nombre est une force, mais il ne doit pas nuire à la qualité des troupes. On semble avoir oublié quelque peu ce principe ; il est grand temps d’y revenir. Au Soudan, l’élimination des mauvais tirailleurs se l’ait sans grand dommage ; en Algérie ou au Maroc, on est obligé trop souvent de garder les dégénérés et les malingres. Ce choix sévère n’est pas le seul obstacle qui limite les possibilités. Les soldats robustes ne résisteront pas indéfiniment ; il faut songer à la relève et, pour être assuré du bon fonctionnement de l’armée noire, chaque bataillon qu’on destine aux garnisons lointaines devrait avoir un dépôt de même effectif chargé de recruter, d’instruire et de fournir les remplacemens demandés. Si, par exemple, on envoie 10 000 hommes dans l’Afrique du Nord, le Sénégal entretiendra 10 000 soldats pour relever périodiquement les unités qu’il détache. Ces chiffres paraîtront élevés, mais ils s’imposent.

Une grosse pierre d’achoppement sera toujours la question des femmes. Les tirailleurs vivent en « smalas » et « madame Sénégal » est fort encombrante. Elle rend au camp de précieux services, mais encore faut-il qu’elle n’entrave pas le commandement lorsqu’il s’agit de mener à bien une opération militaire. Un officier a dépeint ici même le découragement des soldats noirs séparés de leur ménage[1] ; les rengagés ont été rares dans les rangs des bataillons envoyés au Maroc ; en Algérie, la mortalité fut grande parce que les tirailleurs, obligés de partager avec leur famille la ration individuelle, n’ont pas eu la nourriture que réclamait leur appétit. Le noir est un gros

  1. Pierre Khorat, En colonne au Maroc. Voyez la Revue du 1er novembre 1911.