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particulièrement importante, dont l’expression d’ailleurs était délicate et voulait plus de nuances et plus de précision, il la développait par écrit, ne s’en remettant pas à l’improvisation qui pourtant était chez lui d’une abondance et d’une netteté si magnifiques. De la sorte, des pages entières, et, à vrai dire, celles qui dans la suite du développement sont essentielles, ont été écrites de sa main : elles sont dans ces scénarios, d’une si minutieuse ordonnance, mais forcément décharnés, comme des illustrations. En prenant ces plans pour guides, on était assuré de reproduire non seulement les grandes lignes, mais toutes les lignes qu’avait suivies la pensée du maître, — comme fait le praticien qui reproduit la maquette du sculpteur ou qui met au carreau un dessin d’architecture.

Voilà pour la pensée. Mais la parole même ? Comment la retrouver, avec sa richesse, sa sonorité, son accent, ses bonheurs d’expressions rencontrés au cours de cette exposition passionnée, ardente, frémissante et fiévreuse où Brunetière mettait toute son âme, généreuse et inquiète ? Disons plutôt : comment ne l’eût-on pas retrouvée dans les notes que prenaient, en l’écoutant, quelques-uns de ses élèves, les plus fervens, désireux de ne rien laisser perdre d’un enseignement dont ils comprenaient tout le prix ? Pour être sûrs de n’avoir pas trahi par quelque inadvertance une pensée si serrée tout ensemble et si subtile, et pour permettre au professeur de reprendre après coup telle expression qui n’eût pas été absolument adéquate à l’idée, ils faisaient passer sous ses yeux leur rédaction. Lui, la relisait à loisir, annotait, corrigeait. On le voit : les plans ont fourni le squelette : les rédactions d’élèves devaient y mettre la chair, y faire courir le sang et circuler la vie.

C’est en combinant ces plans et ces notes qu’on a pu établir le texte qu’on publie aujourd’hui. Un jeune savant, agrégé des lettres et professeur de l’Université, M. Cherel, s’est chargé d’effectuer ce travail, dont on voit sans peine quelle était la délicatesse. Un principe l’a dirigé, auquel il s’est tenu rigoureusement : c’est de ne rien donner sous la signature de Brunetière, qui ne fût de Brunetière. Plutôt que de combler des lacunes ou d’exécuter des raccords, il a préféré laisser ici ou là un trou, une fissure, un heurt et ne rien introduire qui fût d’une main étrangère. On ne saurait trop l’en louer. Nous sommes en sécurité. On n’essaie pas de nous leurrer. De toute évidence, ce livre n’est pas celui que Brunetière aurait publié, mais aussi ne le présente-t-on pas comme tel. Lui seul pouvait donner à sa pensée une ampleur, à son style une couleur et une