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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/934

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il n’y a pas seulement une ressemblance, mais une identité que le XVIIe siècle est venu momentanément interrompre. » En quoi consiste d’ailleurs cette identité des XVIe et XVIIIe siècles ? Elle est tout entière dans ce que Brunetière appelle la philosophie de la Nature et que tour à tour il signale ou il dénonce chez Rabelais, chez Molière, chez Diderot et chez Rousseau.

Cette philosophie de la Nature allait-elle dans le sens de notre tempérament gaulois ? Raison de plus pour qu’il fût nécessaire de réagir et d’arrêter l’esprit français sur une route où il risquait de perdre sa noblesse et jusqu’à sa dignité. Cela explique l’attitude de Brunetière vis-à-vis de quelques-uns des plus grands écrivains de ce XVIIe siècle même. Il n’aimait guère Corneille ; et si je me sers d’un terme contre lequel je sais bien qu’il eût protesté, parce qu’il y aurait vu cette intervention de sa personne et de ses goûts qu’il mettait tant de soin à s’interdire, c’est que l’originalité de Brunetière restera dans cette âpreté qu’il mettait à confesser sa foi littéraire, dans cette conviction enthousiaste et ces haines vigoureuses qui lui font tant d’honneur, et qui inspiraient, aux adversaires mêmes de ses idées, tant de respectueuse admiration. Corneille était, à son gré, trop imaginatif, trop guindé, trop amoureux de l’excessif, du rare, de l’extraordinaire, et, d’un mot, trop romantique. Personne pourtant n’a mis en plus éclatante lumière le service que Corneille a rendu à l’esprit français, en l’arrachant au terre à terre de la vie coutumière et le haussant à cet état d’exaltation morale qui devient avec l’occasion le principe des grandes actions. Comme il a soin de le remarquer, il ne pouvait en faire de plus grand éloge, car c’est le mettre au très petit nombre de ceux de nos grands écrivains qui nous défendent, encore aujourd’hui, contre les étrangers, de tant de reproches qu’on nous a si souvent adressés, d’insouciance, de légèreté, de gauloiserie. « Sans eux, notre littérature risquerait de n’être représentée que par l’auteur de Pantagruel et celui des Essais, par Molière et La Fontaine, ou par l’auteur enfin de Candide ou celui du Neveu de Rameau. C’est alors que nous ne serions que les amuseurs de l’Europe ! Mais nous avons les Pensées de Pascal, nous avons les Sermons de Bossuet, et nous avons les Tragédies de Corneille. Et c’est pour cela qu’avec tous ses défauts, le bonhomme est de ceux qui font éternellement honneur, non seulement comme les Molière ou les La Fontaine à l’esprit français, mais à notre caractère, qui nous ont relevés ainsi au-dessus de nous-mêmes et qui nous ont enfin enseigné, contre les leçons de l’épicurisme facile des Montaigne ou des Rabelais, le prix de la volonté, l’héroïsme du